De notre correspondante à Rio de Janeiro,
Le surnom de Geraldo Alckmin en dit long sur sa réputation. « Picolé de chuchu », soit « sorbet de chayotte » en français, un légume sans saveur. L’absence de charisme de ce bureaucrate de 65 ans risque de lui être fatale lors de l'élection présidentielle, dont le premier tour est prévu ce dimanche. À la veille du scrutin, il ne dépasse pas les 8% dans les sondages, un score historiquement bas pour le candidat du PSDB, habitué à disputer un second tour contre le candidat du Parti des travailleurs (PT) depuis 1994.
Geraldo Alckmin représente la droite classique brésilienne. Une droite néo-libérale, devenue de plus en plus conservatrice au fil des années. Cet ancien médecin a déjà une longue carrière politique derrière lui. Une carrière qui débute pendant sa première année de médecine, en 1972, lorsqu’il intègre le conseil municipal de Pindamonhangaba, sa ville natale située dans l’Etat de São Paulo. Cinq ans plus tard, il est élu maire de sa commune, à 25 ans, le plus jeune du Brésil.
Le bureaucrate suit un parcours politique sans faute : député fédéral, puis gouverneur de l’Etat de São Paulo durant quatre mandats. « Geraldo Alckmin mise énormément sur ce poste de gouverneur dans sa rhétorique de campagne », analyse Emmanuel Publio Dias, professeur à l’Ecole supérieure de publicité et de marketing de São Paulo, spécialisé dans le marketing politique. En 1988, il participe à la fondation du PSDB. Un parti qui cumule aujourd’hui près de 40% du temps d’antenne électoral, au-dessus de tous les autres, mais qui peine à convaincre les électeurs.
La raison contre la passion
La chute vertigineuse de Geraldo Alckmin est surtout due au contexte de polarisation exceptionnelle de ces élections. « Il a le profil de quelqu’un de modéré, c’est un bureaucrate qui ne soulève pas les foules », explique Wagner Iglecias, sociologue à l’Université de São Paulo. Ce qui ne l’a pas empêché de remporter plusieurs scrutins à São Paulo, et d’accéder au second tour de l’élection présidentielle de 2006, contre Lula. Mais ces élections sont « davantage marquées par la passion plutôt que par la raison », observe le sociologue.
Geraldo Alckmin mobilise très peu le registre des émotions, comme le font ses deux principaux adversaires, Jair Bolsonaro, le candidat d’extrême droite, et Fernando Haddad, le candidat du PT, désigné il y a trois semaines par Lula, interdit d'élection à cause de sa condamnation. S’il promet d’équilibrer les comptes publics ou encore d’investir dans l’éducation, les Brésiliens ont la tête ailleurs. Et même les milieux des affaires et les marchés financiers délaissent leur traditionnel candidat pour l’extrême droite de Jair Bolsonaro.
Opposition « tiède » au PT
Si le PSDB s’était constitué depuis des années comme « le parti de l’antipétisme », en référence au « pétisme », la fidélité au PT, il a été supplanté lors de ces élections par la figure de Jair Bolsonaro, qui incarne un rejet radical du PT. Lassés d’une opposition « tiède », une partie des électeurs du PSDB se sont tournés vers Jair Bolsonaro, dont le discours haineux et antisystème « répond aux trois préoccupations majeures de la population : le chômage, la sécurité et les questions morales, comme l’avortement ou le droit des homosexuels », selon Wagner Iglecias.
Pour tenter de convaincre les électeurs, Geraldo Alckmin rapproche ses deux meilleurs ennemis, le PT et Jair Bolsonaro : « Deux aventures politiques très mauvaises pour le pays », et qui ont le « même ADN », selon l’ancien gouverneur de São Paulo. Mais malgré ce discours, le candidat du PSDB est « loin de représenter une troisième voie crédible », juge Wagner Iglecias.
Défaite historique
« Si Geraldo Alckmin arrivait au second tour, ce serait le plus grand revirement de toute l’histoire des élections brésiliennes », assure Jorge Chaloub, professeur de sciences politiques à l’Université fédérale de Juiz de Fora. Dans le cas d’une défaite, son positionnement face aux deux rivaux ne sera pas évident. « Puisqu’il ne peut pas appeler à voter pour le candidat du PT, explique Wagner Iglecias, il serait plus logique qu’il souhaite garder une neutralité, mais que le PSDB libère son électorat pour choisir l’un des deux camps. »
Les instituts de sondage prévoient déjà que les électeurs du PSDB se répartiront équitablement de chaque côté de l’échiquier politique. Un vote non pas de conviction, mais « de rejet », selon Emmanuel Publio Dias, qui estime que ces élections représentent « la fin d’un cycle ».