Nomination Kavanaugh: Trump «modifie» le visage du judiciaire «pour 40 ans»

Brett Kavanaugh entame ce mardi 4 septembre le marathon des audiences de confirmation devant le Sénat. Il est le deuxième juge désigné par Donald Trump pour siéger à la Cour suprême des États-Unis, dont les neuf hauts magistrats sont chargés de trancher les grands débats de société, comme le droit à l’avortement. C’est pour remplacer le juge Anthony Kennedy, parti à la retraite, que cette figure du camp conservateur a été choisie par le président.

Brett Kavanaugh est un juge expérimenté et doté - plus rare - d’une expérience politique. Ce catholique de 53 ans faisait partie de l'équipe de George W. Bush. « Il a même joué un rôle décisif dans les opérations de recompte de voix lors de la contestation des résultats de la présidentielle de 2000, rappelle Corentin Sellin, professeur agrégé d'histoire et spécialiste des États-Unis. Il a été récompensé de ses bons et loyaux services en intégrant l’équipe Bush à la Maison Blanche. Il a servi « de cerveau juridique » au président, qui l’a ensuite nommé en 2003 juge fédéral en Cour d’appel ».

Brett Kavanaugh siège à la Cour d’appel de Washington DC depuis 12 ans. Mais à l’époque, il doit déjà affronter la résistance farouche des démocrates qui le jugent trop partisan. Pendant trois ans, ils bloquent sa nomination. « On peut parler d'un sérieux contentieux avec de nombreux leaders démocrates qui sont encore membres aujourd'hui du Comité judiciaire, qui examinera en premier la candidature Kavanaugh, note Corentin Sellin. Ils considèrent que Brett Kavanaugh est un extrémiste de droite, qui pourrait renverser la jurisprudence Roe vs Wade, qui autorise l'avortement sur tout le territoire états-unien ». L’argument a été réutilisé cette année par les démocrates, « surtout pour mobiliser les troupes », estime Corentin Sellin.

Mais ce n’est pas le seul dossier sur lequel Brett Kavanaugh pourrait peser. « Il y a des craintes dans tous les dossiers qui touchent à la vie privée (la contraception, le mariage homosexuel), mais aussi les droits économiques et sociaux, les droits civiques et politiques, le droit de vote, le découpage électoral. Et puis, Kavanaugh croit en un pouvoir exécutif tout puissant qui ne puisse être bloqué ou même freiné par le pouvoir judiciaire », soutient Anne Deysine, professeure à l’Université Paris-Nanterre et auteure de La Cour Suprême des États-Unis. Droit, politique et démocratie (Dalloz, 2015). Un élargissement des pouvoirs présidentiels qui pourrait être dans l'intérêt de Donald Trump, gêné par l'enquête du procureur spécial Mueller sur les ingérences russes.

Les auditions : un « ballet bien chorégraphié »

Ce mardi 4 septembre matin, l’audition de Brett Kavanaugh va débuter par sa propre déclaration. Les sénateurs vont ensuite l’interroger, dès le lendemain, en s’appuyant sur des dizaines de milliers de documents. Ils ont épluché une bonne partie de ce que le candidat a pu écrire lorsqu'il travaillait pour George W. Bush ou depuis sa nomination à la Cour d'appel de Washington DC, mais pas tout : les démocrates dénoncent un manque d'accès aux archives. Cette grande messe télévisée, ce « ballet bien chorégraphié », n’apprend en général pas grand-chose au contribuable américain. « Chaque sénateur va choisir des questions qui permettent de le mettre en valeur dans son État, selon ses besoins électoraux. Les candidats sont entrainés à répondre ces questions, à les éviter ».

Brett Kavanaugh devrait passer l’épreuve du Sénat sans trop de difficultés. Malgré la mort de l’un des leurs le mois dernier – le sénateur de l’Arizona John McCain -, les républicains disposent toujours d’une courte majorité au Sénat. Leurs 50 votes sont suffisants pour confirmer la nomination de Brett Kavanaugh.

Trump imprime durablement sa marque dans le système judiciaire

Le juge fédéral est le deuxième homme placé par Donald Trump à la Cour suprême. Nommés à vie, Neil Gorsuch et lui devraient faire pencher la plus haute juridiction américaine encore un peu plus à droite ces prochaines décennies. « Trump en est très fier, note Corentin Sellin. Il a souvent répété qu'il avait offert aux conservateurs deux juges dont les convictions sont certaines sur les points essentiels à leurs yeux : contre l'avortement, contre une évolution trop libérale des mœurs, très favorable aux grandes entreprises et contre la régulation excessive par l'État ».

« S’il y a un domaine dans lequel Trump remplit ses objectifs et satisfait sa base, c’est le judiciaire, renchérit Anne Deysine. Il a aussi nommé de nombreux juges de Cour d’appel et de Cour de district. Lors de la dernière année de mandat d’Obama, les républicains avaient refusé de confirmer tous les candidats à ces postes. Il y avait donc un retard que Trump est en train de combler. Il modifie pour 40 ans la physionomie du système judiciaire fédéral. Des démantèlements de droits se produiront en première instance ou en Cour d’appel, avant même l’arrivée des dossiers devant la Cour suprême ».

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