Avec notre envoyée spéciale à Soacha, Véronique Gaymard
Soacha, ses immeubles de toutes formes, ses maisons en briques rouges, et partout, des vendeurs ambulants, comme Luis Angel, 43 ans, qui est arrivé il y a 16 ans à Soacha comme des milliers d'autres déplacés par le conflit armé. Il presse des oranges, vend des crevettes et des sandwiches.
« Pour trouver un emploi, il faut avoir fait des études, explique-t-il. Moi, j'ai quatre enfants et ma mère m'aide. Donc on doit travailler et supporter ce fardeau. Je démarre à 3 h du matin. Ici le problème, c'est la violence ; on vole les gens, on les tue, et si on me tue, qui va nourrir mes enfants ? »
Le défenseur des droits de Soacha, Ricardo Rodriguez Cardenas, montre les baraques de tôle et de carton que les milliers de déplacés du conflit ont construites illégalement sur les collines. Il estime la population à près d'un million et demi de personnes, plus du double que les chiffres officiels.
Ricardo Rodriguez Cardenas attend de l'Etat qu'il apporte une solution durable. « On a besoin d'urgence de l'aide du gouvernement car la population est sous-estimée. Soacha ne reçoit pas toutes les aides qu'elle devrait par rapport au nombre d'habitants », dit-il.
Des milliers de personnes continuent de s'installer à Soacha, déplacés ou attirés par le mirage d'un travail à Bogota. Et parmi eux, de plus en plus de Vénézuéliens, remarque Luis Angel. « C'est dur pour bosser car beaucoup de Vénézuéliens sont arrivés. Ils cherchent à tout prix à gagner de l'argent, ils se vendent pour moins cher que nous, du coup on a moins de travail. Je comprends aussi qu'ils doivent envoyer de l'argent chez eux. »
Pour qui voter ce dimanche ? Luis Angel ne le sait pas encore, « parce qu'ils disent tous des mensonges ». « Mais je dois voter, sinon d'autres vont en tirer profit », conclut-il.
■ Témoignage : « Les gens se rendent comptent que la démocratie se fait en achetant leurs voix »
Ramon, 61 ans, a toujours vécu à Soacha. Pour lui, l'arrivée continue de population et l'absence de politiques publiques pour répondre aux problèmes de chômage et de violence a déjà des conséquences désastreuses. A ses yeux, il n'y a rien à attendre du prochain président.
« Soacha, c'est une bombe atomique à cause des problèmes qui se sont accumulés : pas de sécurité, manque d'écoles et d'universités, d'hôpitaux, de transports publics, manque d'accès routiers. Et la question de la sécurité découle de tout cela, car il y a de plus en plus de gens et pas de travail.
Il y a 50 ans, Soacha ne comptait que 76 000 habitants. Aujourd'hui, on dépasse les 2 millions, et pourtant des gens continuent d'arriver et de s'installer, ça construit partout, c'est une véritable bombe à retardement ! On ne sait plus quoi faire... Les nouveaux dirigeants viennent tous ici, ils font des promesses, mais ils ne font jamais rien !
Ici, les gens se rendent comptent que la démocratie se fait en achetant leurs voix. On leur offre un repas, un cahier, un chocolat... Les candidats se souviennent des gens quand il y a ces élections. Mais pendant leur mandat, ils ne viennent jamais ici. Ils viennent uniquement par opportunisme, pour obtenir des voix. Ils utilisent le peuple. Et ce dimanche, beaucoup ne vont pas voter à cause de ça. »