Image symbolique de la chute du magnat du cinéma : Harvey Weinstein a quitté un commissariat du sud de Manhattan entre deux policiers dont une femme, les mains menottées dans le dos. Il a été officiellement inculpé pour viol et agression sexuelle, deux dossiers qui datent de 2004 et de 2013 et qui impliquent au moins deux actrices, rappelle notre correspondante à New York, Marie Bourreau.
Pale et légèrement amaigri, il s’est ensuite engouffré dans une voiture avant d'être conduit devant la cour criminelle de Manhattan, où il a été présenté à un juge et s'est vu préciser les charges qui pèsent contre lui. L'audience aura duré à peine 20 minutes mais l'image qui restera est celle d'Harvey Weinstein l'air hagard, qui se voit notifier les actes d'accusation et les conditions de sa libération sous caution.
« Non coupable »
Le juge a réclamé 10 millions de dollars, dont un million de dollars en liquide, pour éviter la prison à Harvey Weinstein, qui devra porter un bracelet électronique. Il a dû remettre son passeport et a interdiction de quitter New York ou l’Etat du Connecticut, où il possède une maison. Tout cela avait été négocié en amont par l’avocat Benjamin Brafman, qui a pris la parole à la sortie devant les journalistes, et a annoncé que son client plaiderait non coupable.
Me Brafman assure que ces relations sexuelles étaient consenties. « Nous avons l'intention d'agir très vite pour que les poursuites soient abandonnées », a déclaré ce ténor du barreau, qui avait obtenu l'abandon des poursuites contre DSK en 2011. « Nous pensons que (les accusations) ne sont pas étayées par des preuves » et que M. Weinstein « sera exonéré », a-t-il dit.
Feuilleton judiciaire
La ligne de défense du producteur est la même depuis le début : tous les rapports sexuels qu'il a pu avoir avec des actrices renommées ou simples aspirantes étaient consentis, assure Harvey Weinstein. Sept mois après les révélations du New York Times sur son empire et son emprise sur une centaine de comédiennes, qu’il aurait contraintes à des faveurs sexuelles, c’est donc le début du feuilleton judiciaire.
C'est déjà une petite victoire pour les nombreuses actrices et les militantes du mouvement #Metoo. Mais ces dernières ne sauraient oublier que la bataille pourrait durer plusieurs mois, et qu'elle s'annonce rude. A noter qu'Harvey Weinstein devrait se retrouver face au procureur de Manhattan Cyrus Vance, qui avait inculpé en son temps l'ex-directeur du FMI, Dominique Strauss-Kahn.
■ De la chute de Weinstein à #Metoo
Dans le milieu, beaucoup savaient, et beaucoup se sont tus, de peur d'avoir à subir des représailles. Mais le 5 octobre dernier, le New York Times publie finalement une enquête accablante : une mannequine, des actrices célèbres - Ashley Judd, Rose McGowan - et d’anciennes employées accusent Harvey Weinstein de harcèlement sexuel.
Le 10 octobre, le magazine The New Yorker publie un second article, et cette fois, c’est de viol que le producteur est accusé. Dans ces enquêtes, qui seront récompensées par le prix Pulitzer, on apprend que pendant quarante ans, le « mogul hollywoodien » aurait usé de sa fortune, de son influence et de sa force physique pour harceler sexuellement ces femmes ou les violer.
Un verrou saute : des dizaines et des dizaines d’actrices prennent la parole et l’accusent. Nombre d’entre elles portent plainte. L’académie des Oscars exclut le producteur, qui disparaît rapidement, officiellement dans une clinique pour soigner une « addiction au sexe ». Sa femme le quitte. Son studio, poursuivi en justice pour avoir toléré son comportement, est mis en liquidation judiciaire.
Mais l’affaire Harvey Weinstein va aller beaucoup plus loin. Elle crée un gigantesque mouvement anti-harcèlement, via le hashtag #Metoo sur les réseaux sociaux, qui depuis des mois fait chuter des dizaines d’hommes de pouvoir américains dans tous les domaines. Un mouvement qui a des échos dans d’autres parties du monde, de la France à la Corée du Sud.
Le cynisme présumé de Weinstein
« Je ne pensais pas vraiment que ce jour viendrait finalement, je n’y croyais pas », explique Rose McGowan, 44 ans, incrédule face à l'inculpation. Cette ancienne vedette de la série télévisée Charmed, devenue l’une des figures les plus en vue de #Metoo avec son témoignage, s’est rasée la tête pour ne plus qu’on le considère comme un sex-symbol et dit avoir coupé les ponts avec Hollywood.
« Je suis tellement fière des Lucia Evans et Paz Vega, les victimes concernées, et de la justice pour s’être mise en marche, continue Rose McGowan. Il faut quand même voir qu’il s’est rendu un vendredi, et avant le week-end de Memorial, quand on se désintéresse des informations. Donc, il bénéficie toujours d’un privilège de puissant. Mais c’est un grand coup porté au cœur de l’abus de pouvoir. »
Rose McGowan a écrit un livre pour raconter son parcours et donner toute sa place au traumatisme qu'elle a subi. Harvey Weinstein l’aurait violée en 1997. Elle aurait reçu 100 000 dollars pour garder le silence, mais l'ombre du producteur a plané sur toute sa carrière et toute sa vie. Quelque temps après, elle l'avait vu à une marche de femmes lors du festival de Sundance, là où il aurait abusé d’elle.
► (Ré) écouter :Est-ce que #Metoo a changé les choses pour les femmes ? (Débat du jour)