De notre envoyée spéciale dans les Keys,
Les îlots des Keys s’étirent sur la pointe méridionale des Etats-Unis, reliés entre eux par des ponts, cernés par les eaux turquoise. Un paradis tropical déserté : les trois quarts des 80 000 habitants de l’archipel ont pris la fuite avant l’arrivée d’Irma. La route numéro un qui traverse sur toute sa longueur l’étroit bandeau de terre est quasiment déserte. Toutes les stations-service sont fermées, leurs réserves de carburant sont épuisées. Les boutiques, hôtels, restaurants ont bardé leurs vitrines de planches en bois solidement arrimées au-dessus de sacs de sable.
Au bout d’une rue transversale, à la hauteur de Tavernier, une maison blanche est éclairée : Richard et Marylin Kichner ont décidé de rester chez eux. Les vaguelettes de la baie clapotent gentiment le long du ponton, à quelques mètres du bâtiment. Le ciel est bleu azur, le vent agite à peine les palmiers. Mais Richard a noté les premiers signes de l’arrivée d’Irma. « Ce vendredi matin, il n’y avait aucun oiseau. C’était irréel, ce calme et ce silence. Habituellement, c’est un concert de chants de toutes sortes. »
Richard et Marylin se disent prêts à affronter l’ouragan. Ils disposent d’un abri aux normes les plus récentes : un petit pavillon surélevé qui jouxte leur domicile principal. Les vitres sont supposées résister à des vents de 290 km/h. A l’intérieur, le couple a stocké de la nourriture, de l’eau, des piles et tout le matériel de première nécessité. « Ici, nous serons en sécurité », assure Richard.
Son épouse complète : « Les personnes qui meurent pendant les ouragans sont celles qui sortent et s’exposent aux vents furieux. Nous serons calfeutrés bien à l’abri dans une structure adaptée. » Sur les chaines locales de radio, les animateurs lancent pourtant de sérieux avertissements : « Catastrophe en vue ! Danger de mort ! » Et cette précision sur le site de la météo : « Vous ne serez nulle part en sécurité sur les Keys. »
Un seul magasin ouvert sur tout l’archipel
Un peu plus au sud, à Islamorada, Eleonore Mc Caandless fume une cigarette devant une épicerie. « Je travaille ici, nous sommes le seul magasin encore ouvert aux Keys, tous les autres ont fermé », assure-t-elle. A l’intérieur, une petite chaine stéréo diffuse un air country. Johnny Barefeet pose deux bouteilles de vin sur le comptoir. « Je n’ai pas pu partir car je n’ai pas trouvé d’essence, je suis coincé ici », constate-t-il. Et d'ajouter, avant d’éclater de rire : « Mais j’ai du vin, et je saurai bien attraper les écureuils s’ils ne s’envolent pas trop loin ! »
Beaucoup de clients s’arrêtent à l’épicerie, mais le plus souvent pour de menus achats. « Ils ont déjà tout ce qu'il leur faut chez eux, ils viennent surtout ici pour discuter, tisser un peu de lien avant de s’isoler pour de pénibles et longs moments », estime Eleonore.
Dans l’arrière-boutique, la patronne Betsie Jacob rassure son associée : « Nous avons prévu de quoi subvenir aux besoins des habitants du village pendant une semaine et nous avons un groupe électrogène pour garantir le maintien des produits au frais. » La famille de Betsie vit à Islamorada depuis cinquante ans. « Nous formons une communauté, c’est mon devoir de rester ouvert le plus tard possible », estime-t-elle.
Sur un parking un peu plus loin, Liz Mc Comb vérifie le contenu de son coffre. « Mon petit-ami reste pour surveiller les maisons du voisinage, et je ne voulais pas le quitter, mais finalement, je pars », annonce la jeune-femme, qui ajoute : « Mes parents n’arrêtent pas de m’appeler pour me dire de quitter les Keys, j'ai cédé. »
A l’arrière de son véhicule, Liz a installé son chien et ses deux chats. « En réalité, ce sont eux qui m’ont convaincu de partir », lâche-t-elle avant de prendre le volant. « Depuis hier soir, ils tournent en rond, ils sont vraiment inquiets. Les animaux sentent mieux que nous le danger. »
■ Toute la ville de Miami en état d'alerte à l'approche d'Irma
Beaucoup d'habitants ont déjà quitté la capitale de Floride, et de nombreux autres cherchent à le faire. Le maire a élargi jeudi soir l'ordre d'évacuation : plus de 650 000 personnes sont désormais sommées de quitter leur domicile. Mais la population n'a pas attendu l'injonction municipale. Dès mercredi, il y avait d'impressionnants embouteillages sur la principale autoroute qui remonte vers le nord.
Ce jeudi après-midi, deux compagnies aériennes américaines ont cessé d'atterrir à Miami, et de nombreux passagers cherchaient désesperement à l'aéroport un vol disponible, même si le prix des billets a considérablement augmenté en 24 heures. Les automobilistes sont en quête d'essence. Beaucoup de stations-service de la mégapole sont à sec, et de longues files d'attente sont visibles devant celles qui restent ouvertes.
Dans les rues du centre-ville, il n'y a quasiment plus personne. Les rideaux de fer sont tirés, et la plupart des vitrines des magasins sont couvertes de planches. Celles-ci sont d'ailleurs devenues très difficiles à trouver. Comme dans les Keys, certains cependant choisissent de rester et se préparent à affronter l'ouragan. Quelque 2,7 millions de personnes vivent dans le comté de Miami et toutes n'ont pas la possibilité de partir.
Rester demande des préparatifs sérieux. Les gens stockent de l'eau, des piles, des bougies et de la nourriture. Il n'y a pas encore de réelle pénurie dans les supermarchés, seules les bouteilles d'eau commencent à se faire rares sur les étals. Les images de Houston après le passage de la tempête Harvey sont dans toutes les têtes et beaucoup craignent des inondations importantes.
Chez eux, les gens tentent de surélever leurs meubles, de les protéger avec du plastique. Ils calfeutrent leur domicile avec des sacs de sable et des planches de bois. Certains cependant ont profité avec insouciance de cette belle journée ensoleillée de jeudi. Il y avait ainsi quelques dizaines de baigneurs en fin d'après-midi sur la plage de Miami. La mer était calme, d'un bleu profond, et rien ne laissait présager l'arrivée imminente de l'ouragan.