Avec nos envoyés spéciaux à Oranger, Stefanie Schüler et Marc Kingtoph Casimir
Après le passage de l'ouragan Matthew, au bord de la route dévastée qui traverse la petite localité d’Oranger, sur la côte sud d’Haïti, Alphonse François traîne le corps d’un mouton vers le rocher qui surplombe ce qui reste de la plage. « Je viens tout juste de jeter mes moutons morts dans la mer. On est obligé de les jeter. Ils sont morts et on ne peut plus rien en tirer », explique-t-il.
M. François avait 21 moutons et chèvres. Le dernier animal qui lui reste est blessé, confie-t-il : « Il reste couché. Quand il marche, il boite. » « Par chance, ajoute l'éleveur, j’ai pu accéder à mes moutons morts. Dans d’autres endroits, c'est bien plus difficile. On est alors obligé de les laisser là, par terre. Et ils commencent à dégager une telle puanteur que l’on a du mal à respirer. »
Un bruit sous un buisson attire l'attention. « Ce sont des bébés chèvres, explique l'Haïtien. Je viens de jeter leur maman... Je ne peux pas les jeter comme ça, ce serait un pêché. Je dois d’abord attendre qu’ils soient morts. » Reste à savoir comment Alphonse François, qui n'en est donc pas au bout de ses peines, va-t-il survivre avec sa famille et son champ agricole dévasté sans bétail.
L'éleveur réclame une aide d’urgence, mais surtout des projets de développement durable pour être moins vulnérable à l’avenir, dit-il. « Dans cette zone, nous n'avons rien pu sauver, rien du tout ! Regardez là-bas, ma maison, elle est complètement détruite. Je n'arrive même pas à la déblayer pour pouvoir retirer le peu de ce qu'il reste de mes affaires à cause des dalles de béton qui sont tombées », regrette-t-il.
« J’ai vu des gens qui se baladaient tout nus dans la rue. Ils sont devenus inconscients »
La nuit du passage de l’ouragan, de nombreux voisins d'Alphonse François sont venus chercher refuge dans la maison du pasteur Romulus Junior, à Oranger. Quand le toit s’est envolé et que le premier mur a cédé, quand les abris provisoires ont volé en éclat les uns après les autres, la panique s’est emparée des habitants, raconte-t-il.
« Plusieurs membres de notre église sont décédés, écrasés par les toitures de leurs maisons. On a eu beaucoup de morts. Les gens courraient partout avec leurs enfants. Un monsieur, par exemple, avait ses deux fils dans les bras. Un arbre leur est tombé dessus. Les deux enfants sont morts. Nous avons dû les enterrer dans un seul cercueil. Tout ça a été une véritable catastrophe. »
Le traumatisme vécu par cette population vulnérable commence à montrer les premiers symptômes, explique le pasteur Romulus Junior : « Pour l’instant, les gens sont comme distraits. Ils ne semblent plus maîtres d’eux-mêmes. Leur esprit est ailleurs. Hier, par exemple, j’étais dans la localité de Carrefour Diable, et j’ai vu des gens qui se baladaient tout nus dans la rue. Ils sont devenus inconscients. Ils ne sont plus dans la réalité. Ça nous a beaucoup choqués. »
Impuissant face à l'état psychologique de ces personnes, l'homme d'Eglise s'en remet à Dieu : « Nous avons essayé de les aborder et de les sortir de ce moment de crise. Mais ils nous ont semblé loin, très loin. Alors seul le Bon Dieu est capable de les faire revenir à la vie », constate-t-il.
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