Ça s'est passé « quelque part, il y'a quelque temps déjà ». Xavier Dolan commence son récit avec des notes de piano douces. De la pénombre surgit un homme. Assis dans l'avion, il s'apprête à retourner dans son village natal. Douze ans après avoir quitté sa famille, il souhaite annoncer à sa mère, son frère et sa sœur sa mort prochaine, pour garder cette « illusion d'être son propre maître ». Mais il avoue d'entrée : « J'ai peur. »
Un bal de non-communication
Commence alors le bal de non-communication et de querelles éternelles entre les membres de la famille. Filmé d’une façon virtuose, Juste la fin du monde est beaucoup plus qu'une adaptation cinématographique. Xavier Dolan danse avec ce texte exquis de Jean-Luc Lagarce (1957-1995), écrit en 1990 par un écrivain malade du sida. Les images épousent le rythme des phrases, des intonations, de la couleur, des respirations. Avec les yeux, les nez, les bouches montrés de profil, les visages dialoguent en gros plans, creusent leurs pensées. Et dès que la lumière change, ils libèrent les torrents de la nostalgie. Le texte résonne sur des images calmes, laissant parfois la place aux tempêtes de la jeunesse et de l’amour sous forme de flashbacks rock et pop.
Gaspard Ulliel au sommet de son art
Louis, 34 ans, le fils aîné et favori de sa mère, est magnifié par un Gaspard Ulliel au sommet de son art. Avec ingéniosité, il incarne cet écrivain se préparant à mourir et restant si avare avec ses réponses à deux ou trois mots et son petit sourire.
Nathalie Baye interprète la mère, mal préparée pour la venue de son fils. Avec des lèvres rouges d'amour et des grandes paupières bleues comme la mer qui les sépare. « Tu as quel âge aujourd’hui ? Tu habites toujours dans ton quartier gay ? » demande-t-elle pleine d'innocence et d'ignorance. « Non », répond-il dévoilant le vide de leur relation. Elle avait tant espéré de réunir cette famille qui n'existe plus depuis longtemps.
Un silence mutuel
Antoine, le petit frère surexcité et complexé (surjoué par Vincent Cassel), se sent menacé par retour de ce frère qui avait monopolisé l'attention des parents pendant toute son enfance. Leur silence mutuel ne sera brisé qu'une seule fois, et avec stupeur : « D'ailleurs Louis, ton ancien ami Pierre est décédé. On l'a enterré la semaine dernière. »
La seule qui sortira indemne de cette histoire familiale est Catherine (Marion Cotillard). La femme d'Antoine garde ses distances, préfère vouvoyer son beau-frère jusqu’ici jamais rencontré. Avec sa manière balbutiante et juste, elle exprime ses vérités : « Louis, ton frère Antoine pense que tu ne t'intéresses pas à sa vie. Et je crois qu'il a aussi un peu raison. Sais-tu qu'il fabrique des outils dans une petite fabrique ? »
Regretter le temps perdu
On a compris. Dans cette famille, personne ne sait plus rien de l’autre. La mort approche et les mots pour le signaler s'éloignent. Regretter le temps perdu est la seule chose qui reste.