Petit tour du monde des procédures de destitution de chefs d’État

Comment éviter que les procédures de destitution ne deviennent des épisodes de vengeance politique ? Comme Dilma Rousseff, d’autres chefs d’Etat ont dû faire face à des procédures de destitution, dispositions constitutionnelles assez complexes et différentes selon les Etats. Petit tour d’horizon.

Le 12 mai prochain, une majorité simple de sénateurs suffirait à approuver la mise en accusation de la présidente Dilma Rousseff. Elle serait alors écartée du pouvoir pendant maximum six mois. Le Sénat voterait alors une seconde fois et il faudrait une majorité des deux tiers pour l’écarter définitivement. La Chambre des députés a déjà approuvé, à 367 voix contre 137, la procédure de destitution de Dilma Rousseff.

Le Brésil a déjà connu une telle procédure. En 1992, le président Fernando Collor de Mello a été accusé de corruption passive : il aurait reçu 6,5 millions de dollars en moins de trois ans, selon une estimation. A l’aune des conclusions de l’enquête judiciaire, la Chambre des députés décide à 441 voix contre 38 de l’écarter du pouvoir pendant au moins 180 jours. Collor démissionne finalement la veille du vote du Sénat, pour éviter d’être destitué.

Les procédures de Rousseff et Comor « n’ont rien à voir », d’après Ivar Hartmann, professeur de droit à la Fondation Getulio Vargas. Il explique à l’AFP : « Collor avait une étiquette de corrompu, Rousseff non. Elle peut être considérée comme incompétente mais personne ne pense qu’elle s’est enrichie personnellement. »

Rousseff est accusée d’irrégularités sur les comptes publics, ce qui lui aurait permis de maquiller l’ampleur des déficits publics, en pleine année électorale. Une pratique utilisée par tous ses prédécesseurs, se défend Dilma Rousseff, même si ceux-ci s’étaient montrés plus mesurés. Dilma Rousseff estime qu’une destitution serait un « coup d’Etat institutionnel » et s’apparenterait davantage à une sanction politique qu’à une condamnation judiciaire.

« La mise en accusation de Clinton était totalement politique »

Comment justifier le fait qu’un Parlement, organe du pouvoir législatif, dispose aussi d’un pouvoir judiciaire pour la destitution ? Comparons avec la procédure américaine. Anne Deysine, spécialiste des questions politiques et juridiques américaines, explique : « Aux Etats-Unis, il y a une procédure en deux étapes. D’abord, la Chambre des représentants réalise une enquête, comme un juge d’instruction. C’est la mise en accusation. Ensuite, le Sénat a le rôle d’un tribunal qui déclare l’accusé coupable ou non-coupable de “trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs”, comme l’explique la Constitution. Pour la procédure de destitution de Bill Clinton, on a bien vu qu’à la Chambre, le calcul était totalement politique. »

Le 19 décembre 1998, la Chambre des représentants a mis en accusation Bill Clinton pour parjure et obstruction à la justice à 228 voix contre 206. Bill Clinton était accusé de s’être parjuré au sujet de sa relation « inappropriée » avec Monica Lewinsky, alors stagiaire à la Maison Blanche. Sous serment, Bill Clinton nia avoir eu une « relation sexuelle » avec Lewinsky, toute la défense du président reposant sur le sens qu’il donnait à l’expression « relation sexuelle ». Ce témoignage sous serment a été donné dans une enquête sur l’affaire Paula Jones, une fonctionnaire ayant accusé Clinton de l’avoir harcelée sexuellement, en 1991, quand il était gouverneur de l’Arkansas.

Le chef d’accusation d’« obstruction à la justice », lui, vient encore d’une autre affaire. Clinton était accusé d’avoir sciemment cherché à faire obstacle à la justice, en ne transmettant pas au procureur les notes de ses conversations avec Hillary Clinton au sujet de Whitewater, un projet immobilier du couple Clinton avec deux associés. Un témoin a déclaré que Bill Clinton avait fait pression sur lui pour qu’il accorde un prêt illégal de 300 000 dollars à Susan Mac Dougal, son associée. Cela n’a jamais été prouvé.

L’imbrication complexe de toutes ces affaires a fait dire aux cadres du Parti démocrate qu’une « chasse aux sorcières » cherchait à faire tomber Clinton, qui menait des politiques sociales que la droite américaine pourfendait. Finalement, le Sénat acquitte Bill Clinton en février 1999. « La mise en accusation de Clinton était totalement politique. Les républicains voulaient la peau de Clinton », explique Anne Deysine, auteur notamment de La Cour suprême des Etats-Unis (Dalloz) et des Institutions des Etats-Unis (La Documentation française).

« L’exigence des deux tiers » permet d’éviter une sanction purement politique

Une règle permet d’éviter que ces procédures de destitution n’aient qu’un caractère politique : « Le Sénat doit déclarer l’accusé coupable à plus de deux tiers des voix. La procédure est en partie juridictionnelle, mais aussi en partie politique. Et l’exigence des deux tiers des voix permet d’éviter que cela ne soit utilisé totalement à des fins politiques », explique Anne Deysine.

En 1868, le président américain Andrew Johnson a échappé de peu à la condamnation par le Sénat : 35 sénateurs ont voté « coupable » et 19 « non-coupable », soit une voix de moins que la majorité des deux tiers. Il était poursuivi parce qu’il avait limogé son secrétaire à la Guerre Edwin M. Stanton, avec lequel il avait de très mauvaises relations. Sauf qu’une loi interdisait au président de révoquer un fonctionnaire nommé par le Sénat sans l’accord de celui-ci. Cela a été considéré comme un « crime et délit majeur ». Après l’acquittement du Sénat, la procédure a été abandonnée, Stanton a effectivement été limogé et, depuis, cette loi a été abrogée.

En revanche, pour Richard Nixon, la donne a été plus compliquée. « La commission des affaires judiciaires de la Chambre des représentants avait présenté des chefs d’accusation très précis qui montraient une violation caractérisée de la loi », déclare Anne Deysine. Devant la perte de ses soutiens politiques et avant une destitution qui semblait inévitable, Nixon décide alors de démissionner.

En Lituanie, le président Rolandas Paskas a, lui, décidé d’aller au bout de la procédure constitutionnelle, même si, comme Nixon, il n’avait a priori aucune chance d’échapper à la destitution. Elu en 2003, le président Rolandas Paskas est, moins d’un an plus tard, soupçonné de collusions avec la mafia russe. En 2004, la Cour constitutionnelle le reconnaît coupable de trois faits violant la Constitution : avoir illégalement accordé la nationalité lituanienne à un homme d’affaires russe en échange d’un soutien financier, avoir averti cet homme d’affaires qu’une enquête judiciaire le concernant était en cours, et avoir fait usage de ses pouvoirs pour favoriser les affaires de ses proches. Les députés le destituent à plus de trois cinquièmes des voix. Une élection anticipée a lieu deux mois plus tard.

Autre cas de figure : la fuite d’un président, puis sa destitution

En Iran et en Ukraine, deux présidents ont été destitués alors qu’ils avaient fui le pays. En 1980, Abolhassan Bani Sadr a été élu président de la République islamique d’Iran, devenant le premier président après la révolution. Il est destitué un an plus tard par le Parlement, le 21 juin 1981. Le lendemain, l’ayatollah Khomeini, chef de l’Etat iranien, le relève de ses fonctions et ordonne son arrestation pour « conspiration » et « trahison », car Bani Sadr négociait la formation d’un anti-gouvernement avec l’Organisation des moudjahiddines du peuple iranien. Dénonçant un « coup d’Etat », Bani Sadr avait à l’époque déjà fui en France, après que le Corps des gardiens de la révolution islamique a tué plusieurs de ses soutiens.

En Ukraine plus récemment, en pleine révolution Euromaïdan en 2014, le président Viktor Ianoukovitch, très contesté, fuit Kiev et évoque un « coup d’Etat », alors que des rumeurs évoquent sa démission. Le lendemain, le Parlement déclare sa destitution, considérant qu’il a de facto abandonné ses fonctions. Une destitution inconstitutionnelle selon Ianoukovitch, et qui est devenue officielle dans le droit le 18 juin 2015, lorsqu’une loi a été promulguée par le Parlement. Ianoukovitch est aujourd’hui exilé en Russie.

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