Les sondages ne se sont pas trompés, mais les libéraux canadiens (centre gauche) ne pouvaient pas s’attendre à voir déferler une telle vague rouge, couleur officielle de leur parti, d’un bout à l’autre du Canada. Leur victoire aux élections fédérales est sans précédent. Elle s'appuie notamment sur un retour en grâce remarquable au Québec et dans l'est du pays, et revient en partie au leader du Parti libéral, Justin Trudeau, qui a repris le flambeau en 2013. A 43 ans, M. Trudeau va devenir le 23e Premier ministre de l'histoire canadienne, l'un des plus jeunes. Mais il ne découvrira pas les lieux, puisqu'il a habité à la résidence officielle du Premier ministre canadien une grande partie de son enfance, lorsque son père, Pierre Elliot Trudeau, était lui-même chef du gouvernement (à deux reprises).
Lui aussi chef du Parti libéral, le père du nouvel homme fort canadien avait également remporté une victoire décisive au Québec en 1980, rappelle notre correspondante à Québec, Pascale Guéricolas. Mais jamais, depuis lors, en 35 ans, cette province n’avait fait élire autant de députés libéraux que ce lundi 19 octobre. Dans son discours de victoire, le fils Trudeau ne s’y est d'ailleurs pas trompé : il a salué le retour du Québec au gouvernement du Canada. La province de l’Est avait plutôt été écartée du pouvoir lors du règne des conservateurs du Premier ministre sortant Stephen Harper, pendant les dix dernières années.
Ce lundi soir, M. Harper a justement pris acte de sa défaite, et a annoncé sa démission prochaine de la direction du Parti conservateur du Canada. Il va ainsi redevenir simple parlementaire, plus précisément député de Calgary où il a été réélu. Alors qu’il s’était appuyé sur ses résultats économiques lors de son précédent mandat, cette fois, Stephen Harper n’a pas réussi à convaincre, en pleine récession liée à la baisse des cours du pétrole. Au cours des 78 jours de campagne, ses adversaires politiques avaient appelé à sa défaite, une défaite entérinée par le vote sanction des Canadiens, dû à leur ras-le-bol face à sa politique conservatrice, et à leur volonté de changement. Ils laissent ainsi une majorité absolue à Justin Trudeau pour gouverner.
Stephen Harper a salué la victoire de son adversaire, qui se voit comme un rassembleur, en rupture avec son prédécesseur, notamment en matière d’environnement et de diplomatie. Justin Trudeau a promis d’accueillir davantage de réfugiés (25 000 réfugiés syriens avant la fin de l'année), de ne plus participer aux frappes de la coalition contre l’organisation Etat Islamique et d’accélérer la lutte contre le changement climatique pour redorer le blason du pays. Il a promis d'œuvrer pour les classes moyennes en taxant les plus riches, et de légaliser le cannabis (qu'il avoue avoir déjà fumé). Une stratégie gagnante, puisque le Parti libéral, qui n’était qu’en troisième position au Parlement, a raflé la majorité absolue (185 sièges, selon des résultats provisoires, sur un total de 338 à La Chambre), après avoir été balayé du Québec au milieu des années 2000 suite à des scandales de corruption. Les électeurs cherchaient le changement, et les libéraux l’ont incarné mieux que les néo-démocrates, deuxièmes aux dernières élections. « Les Canadiens ont tourné la page de dix longues années », a d'ailleurs salué le chef du nouveau parti démocratique, Thomas Mulcair, grand perdant de ces élections.
Cheveux noirs, visage souriant, Justin Trudeau est né en 1971. Enfant, il figurait sur les cartes de Noël de sa famille, et son père l'emmenait aux quatre coins de la planète pour rencontrer la reine Elizabeth II, le pape ou encore pour assister aux funérailles du dirigeant soviétique Léonid Brejnev. Diplômé de littérature anglaise, il a par la suite enseigné dans un collège privé. En 2000, à la mort de son père, il a prononcé une éloge funèbre remarquée, faisant apparaitre son charisme au grand jour. En charge d'organismes de jeunesse, il s'est marié en 2005 avec Sophie Grégoire, un ancien mannequin. Ils ont trois enfants. Puis il s'est lancé en politique, devenant député en 2008 dans la circonsciption de Papineau, l'une des plus pauvres et multiethniques de Montréal.