«No-go zones»: la mairie de Paris peut-elle gagner contre Fox News?

Anne Hidalgo semble décidée à porter la polémique sur les «no-go zones» devant les tribunaux afin d’obtenir réparation du récit calamiteux délivré par chaîne américaine Fox News sur des prétendues zones interdites aux non-musulmans en plein Paris et ailleurs en Europe. Or, si l’indignation de l’édile est indéniable, la pertinence de sa décision l’est peut-être beaucoup moins.

L’affaire aurait pu s’arrêter là. Mais les excuses répétées de Fox News, après la diffusion d’informations erronées sur la ville de Paris, n’ont pas calmé les ardeurs d’Anne Hidalgo. Mardi 20 janvier, à l’occasion d’une visite dans la capitale du maire de New York, Bill de Blasio, elle est interviewée sur CNN.

« J'envisage effectivement d'avoir recours à la justice, déclare la maire de la capitale. Il a été porté préjudice à l'image de Paris et à l'honneur de Paris. » Mais, par un fatal défaut de traduction, le « j'envisage » s'est transformé en un « I will » (« Je vais ») affirmatif... La plainte sera donc déposée « d’ici la fin de la semaine », confirme à RFI le service de communication de la Ville, « le temps de définir la juridiction, française ou américaine. »

Le préjudice en question est celui des mal-nommées « no-go zones » ou zones de non-droit. Le samedi 10 janvier, au lendemain des attentats qui ont secoué Paris et sa région, Fox News, première chaîne américaine en 2014, réalise un duplex avec un « journaliste, expert en zone de conflit ». Nolan Peterson explique, carte à l’appui, qu’il existe des « no-go zones », des zones interdites d’accès aux non-musulmans, à l’intérieur même de la capitale française. « Il y a 741 no-go zones » en France, affirme le reporter. Il fait en réalité référence aux ZUS, les zones urbaines sensibles aujourd'hui rebaptisées « quartiers prioritaires ».

La carte de Paris montrée à l'écran provient d'une étude statistique de l'Insee. Les endroits ? Montmartre, Ménilmontant, Magenta, Saint-Denis…Touristiques, bourgeois et/ou bohêmes, mais pas Bagdad. Dans ces « banlieues » (en français dans le son), « on peut voir des jeunes avec des tee-shirts à l’effigie d’Oussama Ben Laden ». Le journaliste les compare à des zones de guerre comme l’Irak ou l’Afghanistan, rapprochant la capitale française de la capitale irakienne.

Ainsi, pendant plusieurs jours, Fox News déroule, par la voix de plusieurs journalistes et invités, une litanie d’affabulations. Des images des émeutes de banlieues tournent en boucle. Elles datent... de 2005.

Du pain bénit pour le Petit Journal, l’émission de Canal+ experte ès satire du monde politico-médiatique. Son présentateur Yann Barthès lance une virulente campagne contre la télé américaine : l’« opération no-go zone » incite les téléspectateurs à bombarder la chaîne d’emails indignés pour en faire une autre « no-go zone ». Ce qu'ils font. Sur les réseaux sociaux, c’est la bronca.

Quelques jours auparavant, toujours sur la même chaîne, un autre « expert en terrorisme », Steve Emerson avait été plus loin : Birmingham, en périphérie de Londres, un million d’habitants, s’était vue qualifiée de ville « totalement musulmane, où les non-musulmans ne vont tout simplement pas. » Stupeur et colère de David Cameron en personne : « j'ai failli m'étouffer avec mon porridge ».

Fox News finit par plier. A quatre reprises, elle s’excuse. Sans détour. Pour les Français, pour les Britanniques. Les journalistes Petersen et Emerson font personnellement amende honorable. Le second va même faire un don à la ville anglaise !


Justice américaine ou justice française ?

Trop tard, aux yeux d’Anne Hidalgo, décidée à laver l’honneur des Parisiens. « On n’attaque pas la ligne de Fox News, on attaque des faits erronés », précise le service de communication de la mairie. « Fox News a certes présenté ses excuses, mais seulement pour modérer ses propos erronés qu’elle s’est par la suite obstinée à rediffuser. » Procédure il y aura, mais pour quel succès ?

Aux Etats-Unis. « Les chances que la plainte aboutisse sont quasi-inexistantes », tranche pour RFI Maître Christopher Mesnooh, avocat au barreau de New York et Paris, car « elle se heurte à la conception américaine de la liberté d’expression » sacralisée par le Premier amendement de la Constitution. « Dire des choses fausses n’est pas interdit en droit américain », résume encore l’avocat binational, prenant l’exemple du président Obama dont « ils disent souvent qu’il est musulman, sans qu'il ne porte plainte ». En outre, Fox News est « tout sauf du journalisme sérieux », et la polémique, qui a reçu beaucoup d’échos outre-Atlantique, a plutôt été « prise à la rigolade ». Enfin, ajoute Christopher Mesnooh, en droit américain, « on peut porter atteinte à l’honneur d’une personne, mais pas à celui d’une ville ». La presse américaine est également très sceptique, le Washington Post rappelant une disposition de 2010 - le Speech Act - qui annule des jugements pris par des juridictions étrangères allant à l'encontre du Premier amendement...

En France. Le sort est un peu moins scellé. Le motif le plus évident serait celui de la diffamation. Mais il n’est « pas évident que la ville ait été salie. Et même si elle l’a été, il faudrait prouver le préjudice en montrant par exemple que 5000 ou 10 000 Américains ont annulé leur voyage, à cause des propos de Fox News. C’est compliqué », estime encore Me Mesnooh. Enfin, « le Premier ministre, par un hasard du timing, a lui-même évoqué un "apartheid" » dans certains lieux en France. Des propos qui, selon lui, « pourraient servir la défense de Fox News ».

« Cela risque de finir en micmac judiciaire, conclut Me Mesnooh, ce qui n’est pas dans l’intérêt de la ville de Paris. » Et de citer « d'autres manières » : « la méthode Cameron, qui a traité d’ "idiot complet" le journaliste [Steve Emerson], ou celle du Petit Journal qui a traité l’affaire avec humour, et qui a été cité par le New York Times. »

Cette procédure n’est pas un coup de sang, assure la mairie, elle est « réfléchie depuis plusieurs jours », se disant « convaincue de son bon droit ». Reste que le procès, où qu’il se tienne, peut s’étendre sur plusieurs mois… aux frais du contribuable parisien s’il venait à être perdu.

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