«La paix est au cœur d’un débat avec deux visions de la société»

En Colombie, le scrutin du second tour de la présidentielle a commencé et prendra fin à 21h TU. Deux hommes sont en lice : le sortant Juan Manuel Santos et son rival Oscar Yvan Zuluaga. Un scrutin transformé en référendum, pour ou contre le processus de paix, au moment où les négociations gouvernementales avec les FARC abordent leur phase finale. Entretien avec Pascal Drouhaud, spécialiste des relations internationales.

RFI : On a entendu ce slogan pendant la campagne, « la fin du conflit ou un conflit sans fin », un slogan du sortant Juan Manuel Santos. Est-ce que ce n’est pas réducteur pour une présidentielle ?

C’est forcément réducteur, mais il est vrai que le président Santos a mis sur la table son talent pour ramener justement cette problématique au cœur d’une présidentielle alors même que les sujets qui intéressent les Colombiens portent avant tout sur l’emploi, sur les questions sociales, et que la paix arrive bien loin derrière les préoccupations au quotidien des Colombiens.

Alors, pourquoi ? Parce que ce bilan-là, économique et social, n’était pas très glorieux pour lui ?

La Colombie, c’est un pays d’un peu plus de 40 millions d’habitants, et près de la moitié de population vit dans des conditions précaires, à l’intérieur de ce pays qui est grand comme la France et l’Espagne, cinq millions de km². Et c’est vrai que près de 20 millions de Colombiens vivent dans des conditions qui sont celles de la pauvreté.

Malgré tout, beaucoup d’analyses disent que justement la paix pourrait être un véritable levier. C’est certainement ce qui a poussé le président sortant - levier en terme de croissance, en terme d’emploi - pour relancer la machine colombienne.

Alors, on est au cœur du débat justement sur ces questions-là. En effet, le président Santos considère que la paix sera un facteur de croissance à terme. Son adversaire Oscar Yvan Zuluaga, lui, considère que ce sont des questions portant sur la décentralisation, sur le soutien à l’industrie et aux entreprises qui vont favoriser la croissance et que la paix n’est qu’un facteur, je dirais, secondaire. Donc cette question-là est en effet au cœur d’un débat avec deux visions de la société, qui cependant se rejoignaient ces derniers jours, puisque Yvan Zuluaga, qui a reçu le soutien de l’ancien président Andrés Pastrana, a dit qu’il poursuivrait lui-même les négociations avec la guérilla des FARC, mais des négociations sous conditions.

Yvan Zuluaga a un petit peu adouci son discours depuis le début de la campagne.

Il l’a adouci, mais en faisant valoir cette notion de conditions et en renvoyant le président Santos à la problématique de cet avenir des négociations avec les FARC et peut-être avec l’autre guérilla, l'Armée de libération nationale (ELN), puisque le président Santos a annoncé cette semaine à quelques jours du second tour qu’il ouvrait des négociations avec l’ELN. Mais ces négociations, poussant le camp adverse, apparaissent sans conditions, sans justice. Et les adversaires du président Santos mettent sur la table des problématiques qui font mal au cœur des Colombiens notamment la question de l’amnistie.

Les adversaires de Santos dénoncent une manipulation avec cette annonce. Il n’y a pas de date de prochaines négociations avec l’autre guérilla, l’Armée de libération nationale...

Il est vrai que l’on est en période électorale et que, depuis quinze jours, la Colombie est plongée dans un débat de second tour de l'élection présidentielle. Il est vrai que le président Santos, à quelques jours du second tour, a annoncé des négociations avec l’ELN dont l’annonce a été dénoncée par le camp adverse et notamment avec violence par Marta Lucia Ramires qui a été ministre de la Défense de Alvaro Uribe, qui était candidate arrivée en troisième position avec 15,5 points lors de l'élection présidentielle, et qui a dénoncé avec violence cette annonce de négociations avec l’ELN.

On parlait du programme économique qui a été mis entre parenthèses, est-ce que les deux candidats sont des libéraux ?

En effet, on peut les qualifier de la sorte. C’est vrai que c’est un peu schématisé, mais tous deux ont été des ministres des Finances sous l’administration Pastrana et Uribe. Tous deux appuient bien évidemment l’entreprise. Donc je dirai qu’au-delà du fond, c’est la forme qui diffère et, inévitablement, c’est cette question de la paix qui revient sur le devant d’un débat politique alors même, comme je le disais, que les Colombiens attendent des solutions concrètes sur l’emploi, sur l’encadrement social, sur l’accès à l’éducation, sur la formation technique et professionnelle. Ce sont là les sujets au cœur des préoccupations des Colombiens dans un pays - et c’est peut-être çà une des clefs de ce scrutin dans quelques heures - où le poids des régions, le poids des villes, le poids de cette approche décentralisée est essentiel.

Pascal Drouhaud est l’auteur de FARC, Confessions d'un guérillero, publié en 2008 chez Choiseul Editions.

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