Avec notre correspondant à Caracas, Julien Gonzalez
L’initiative intervient dans un contexte de tensions. A chaque jour correspond de nouvelles manifestations étudiantes et des barricades dans la capitale. Des pneus brûlés, des avenues fermées. Le président de la République Nicolas Maduro, lui, est catégorique depuis plusieurs jours : il ne veut plus de manifestations étudiantes ; ceci au nom de la paix dans le pays. Ce mardi, veille de cette conférence, beaucoup d'étudiants n'attendaient pas grand chose du président.
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Gaby Arellano est une des figures de la protestation étudiante à Caracas. Depuis deux semaines, c'est elle qui avance en tête des cortèges ; elle, qui convoque la presse, elle qui coordonne les actions. Référence obligée des étudiants... et pourtant grande oubliée de la conférence de la paix.
« Moi, ils ne m'ont pas invitée, clame-t-elle. Je n'ai reçu que des insultes de la part de Nicolas Maduro. Il m'accuse de préparer un coup d'Etat, il me traite de fasciste, de terroriste. Donc, non je n'ai pas reçu d'invitation du président. Mais au-delà d'une table de négociations, maintenant, on veut des actions concrètes. Nous voulons un pays libre. Et que les responsables de la mort des étudiants soit envoyés en prison. »
« Plus de volonté »
« Venezuela, ou je lutte, ou je te perds ! » C'est le message porté par Samuel Perez, étudiant en histoire à la Metropolitana. Visiblement lassé des effets d'annonce du gouvernement, il ne croit plus beaucoup au plan de paix du président.
« C'est bien de discuter de l'insécurité ; c'est bien d'ouvrir un débat pour améliorer la paix, lance ce dernier. Mais il faudrait beaucoup plus de vocation du gouvernement et plus de volonté de mener ce projet jusqu'au bout. Nous avons déjà eu 12 ou 13 plans de paix depuis l'investiture d'un gouvernement socialiste dans le pays, aucun n'a jamais fonctionné. Et il y a chaque jour plus de morts. Alors on lutte pour plus de sécurité. Pour pouvoir vivre ; nous ne voulons pas survivre dans ce pays. »
Une très grande majorité d'étudiants a déjà promis de manifester en masse, ce mercredi, aux côtés de l'opposition.
A la recherche d'un médiateur
Mais la conférence de ce mercredi pourra-t-elle réellement calmer les esprits ? Le chef de file de l'opposition Henrique Capriles, qui refuse de s'y rendre, ainsi que le leader du parti social chrétien Copei, Roberto Enriquez, appellent à une médiation de l'Eglise pour instaurer un dialogue. Une proposition que rejette le ministre des Affaires étrangères Elias Jaua.
Selon le Père Bruno Renaud, qui vit au Venezuela dans le quartier populaire de Petare depuis plus de 45 ans, l'Eglise vénézuélienne n'est pas suffisamment neutre pour assumer ce rôle : « Il y a évidemment une méfiance vis-à-vis de l’Eglise épiscopale ou de l’Eglise hiérarchique qui n’a jamais été neutre, ni au Venezuela ni dans d’autres pays latino-américains, et qui s’est toujours entendue avec le pouvoir, pas nécessairement le pouvoir politique mais avec le pouvoir social et économique. S’il s’agissait de l’église intérieure du Venezuela, très sincèrement je serais tout à fait contre. Depuis le premier coup d’Etat de 2002, l’église hiérarchique ayant à sa tête le cardinal de Caracas, a pris fait et cause dans l’organisation et dans le coup d’Etat lui-même avec tous les morts qui en ont été la conséquence. »
« Signes de faiblesse »
Mais le pouvoir ne se présenterait pas nécessairement en position de force. Ce dont témoigne Paula Vasquez, anthropologue vénézuélienne et chercheuse au CNRS. « La coalition du gouvernement montre des signes de faiblesse et d’ébranlements. [...] Il y a surtout la posture de Vielma Mora, le gouverneur de l’Etat de Tachira, qui fait partie du parti au pouvoir. Son Etat a été survolé par des avions de guerre. Et Vielma Mora a été élu par le vote populaire. Donc il n’a pas trop apprécié ça de la part du gouvernement fédéral. »
Son mécontentement, il l’a montré lundi, avant un conseil fédéral. « Je suis contre l'idée qu'on utilise des armes face à des manifestants pacifiques, avait-il martelé. Tous ceux qui sont en ce moment emprisonnés pour des raisons politiques, qu'on les laisse rentrer chez eux. Y compris Leopoldo Lopez. De plus, il n'était absolument pas nécessaire de faire voler des avions militaires au-dessus de l'Etat de Tachira. »
« Même s’ils font partie de la coalition, les gouverneurs d’Etat se sentent menacés par le gouvernement fédéral », rappelle ainsi Paula Vasquez. Entre les acteurs non convoqués, les invitations renvoyées et un pouvoir critiqué en son sein, pas sûr que la conférence voulue par le président Maduro accouche d'une solution à même de sortir le pays de la crise politique qu'il traverse depuis trois semaines.