Votre nouveau roman paru en français parle de drogue, de corruption, de prostitution, de Bogota à Bangkok en passant par New Delhi, Tokyo voire Téhéran. Et pourtant l’un des trois personnages principaux dit que c’est d’abord un roman d’amour. Que pensez-vous avoir écrit, un roman noir ou un roman d’amour ?
C’est un roman d’amour comme le dit le personnage de Manuel dans mon roman. C’est un roman d’amour entre un frère et une sœur, c’est une relation d’amour. J’ai toujours envié les amis qui ont des sœurs, moi je n’ai pas de sœur. Et c’est idée de la protection et de l’amour qu’une sœur donne au petit frère, c’est quelque chose qui me semble très beau.
Trois personnages principaux donc : un frère Manuel, une sœur Juana, ainsi qu’un diplomate colombien, consul à New Delhi. Trois destins bien différents et pourtant à travers leurs trois récits se dessine l’histoire de la Colombie depuis une vingtaine d’années, votre pays natal où vous ne vivez plus puisque vos activités de diplomate vous ont mené aux quatre coins de la planète. Est-ce que ça veut dire que loin de votre terre d’origine, l’écriture vous permet de garder ce lien précieux avec la Colombie et je dirais même d’avoir un regard lucide sur cette société que vous décrivez avec une certaine dureté ?
Oui, et je décris surtout l’époque de la présidence d’Alvaro Uribe qui a été un des moments les plus violents de l’histoire récente de la Colombie, même si au niveau de la violence physique –des bombes et des attentats-, ça a été un peu contrôlé, mais ce qui était incroyablement angoissant, c’était la violence invisible, une atmosphère violente. Les gens qui haïssaient, qui accusaient les autres. On était soit terroriste, soit patriote. Il n’y avait rien au milieu. Donc c’était une société qui se culpabilisait, qui regardait, qui se méfiait de tout le monde. Cette espèce d’atmosphère contaminée par cette violence politique puisque Alvaro Uribe, c’était presque un régime militaire, même si, bien sûr, c’était démocrate. Il a été élu par une grande majorité soutenue toujours, mais c’était une ambiance de régime militaire. Cela, c’était l’ambiance que j’ai voulu décrire et c’est dans cette atmosphère que mes personnages ont passé leur adolescence.
Le fil rouge de ce roman est la littérature. Manuel et Juana adorent les livres et pourtant le cynisme qui va s’emparer de Juana lui vient sans doute d’un homme français, exilé en Colombie et qui, malice de votre part, s’appelle Echenoz comme notre romancier contemporain Jean Echenoz. Ce n’est sans doute pas un hasard. Pensez-vous que le cynisme est une caractéristique française ?
Il y a toujours eu des personnages cyniques dans la culture française, en plus le cynisme intelligent, parce que la France c’est toujours la tradition de l’intelligence, de la présentation exclusive de toutes les idées. Il y a toujours eu des écrivains comme ça, par exemple quelqu’un comme Michel Houellebecq. Ce cynisme est représenté par Echenoz, c’est un écrivain français que j’admire beaucoup.
Qui lui, n’est pas cynique dans sa littérature.
Non. Je n’arrive vraiment pas à me souvenir pourquoi j’ai choisi ce nom, mais ça a été tout naturel. J’écrivais, j’écrivais et monsieur Echenoz est arrivé.
Je vous cite : « Être écrivain était le maximum de ce que pouvait espérer un être humain et pour lui, tout ce qui avait la forme d’un livre était sacré ». La littérature est au-dessus de tout pour vous ?
Oui, parce que pour moi, c’est le monde dans lequel j’ai toujours voulu vivre. C’est le monde dans lequel je vis tous les jours jusqu’au dernier.
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Prières nocturnes, de Santiago Gamboa, aux éditions Métailié, 312 pages, 20 euros.