Forest Whitaker : «Il y avait différents moyens de lutter»

C'est l'un des plus grands acteurs afro-américains actuels, l'un des plus engagés aussi. Forest Whitaker, qui décrocha un Oscar en 2006 pour son interprétation du dictateur Idi Amin Dada, dans Le dernier roi d'Écosse, pourrait bien être de nouveau cité aux Oscars l'an prochain. Dans Le Majordome de Lee Daniels, qui sort sur les écrans français ce mercredi 11 septembre, il incarne un employé noir modèle à la Maison Blanche, sous sept présidences, alors que son fils s'engage activement dans les différentes luttes pour faire avancer les droits civiques. Entretien avec Forest Whitaker, acteur, réalisateur et producteur de cinéma.

Le Majordome retrace 50 ans de lutte pour les droits civiques de la communauté afro-américaine aux États-Unis. Pour vous, participer à ce film, c’est un choix important, presque militant en tout cas, un but pédagogique pour instruire le grand public sur cette histoire ?

Oui, la grande qualité de cette histoire, c’est que les spectateurs peuvent ressentir ce qu’ont vécu les personnages au-delà des faits historiques qui sont relatés dans les livres. Là, on voit la force de tous ces gens qui ont pu faire évoluer les droits civiques dans ce pays. Mais dans son ensemble, le film traite de sujets plus vastes encore. C’est un film sur la famille, sur l’amour. C’est un film sur l’amour qui peut unifier les différents membres d’une famille et toutes les structures qui peuvent l’entraver.

Vous jouez ce majordome qui a servi à la Maison Blanche sous sept présidents et qui doit faire face à son fils qui est beaucoup plus revendicatif ou vindicatif et qui va s’engager auprès de Martin Luther King, puis des Black Panther. Est-ce que pour vous, ce film montre les deux faces soit de l’engagement soit des choix qu’avait un Noir américain dans la deuxième partie du 20e siècle aux États-Unis ?

Dans ce film, ce qui est bien, c’est que le réalisateur Lee Daniels montre qu’il y avait différents moyens de lutter pour la reconnaissance des droits civiques. Il n’y a pas un moyen plus légitime que les autres. Tous ont été importants dans la libération du pays. Mais on voit les conséquences sur les personnages, comment ils affectent mon personnage de majordome, quels sont les effets sur mon fils ? Mais surtout c’est important pour le public d’aujourd’hui de montrer qu’il y a différents moyens de faire avancer une cause.

À un moment Martin Luther King dit au fils que son père, en travaillant à la Maison Blanche, peut faire changer les stéréotypes ? Finalement être un bon domestique noir est aussi important pour la cause. Et ça peut être subversif ?

Oui, il dit que c’est subversif, car les Blancs employant des domestiques noirs apprennent à leur faire confiance, à ne plus avoir peur et quand ils nous connaissent mieux, ils peuvent changer d’opinion et changer aussi leur vision du monde. C’est à ça qu’il faisait référence. Mon personnage peut se montrer aussi plus actif quand par exemple, il va voir son supérieur pour demander une augmentation pour les autres employés noirs. Il va le voir et demande à ce que les salaires soient les mêmes pour les domestiques noirs et pour les serviteurs blancs, ou que les employés noirs puissent obtenir eux aussi des promotions. Il ne se contente pas d’assurer une présence passive et rassurante. Pour moi, cette histoire dépasse le cadre strictement américain. Elle doit être considérée dans un cadre plus vaste, celle de l’histoire mondiale des droits civiques. On voit un pays, mais ça pourrait être n’importe quel pays qui tente de traiter ses citoyens avec respect et considération. Et on voit les luttes, les batailles, pour qu’une minorité obtienne de meilleures conditions de vie, une vie meilleure. Et ça, ça peut-être valable dans tous les pays de la planète.

Votre personnage bascule tardivement dans les années 1980 pendant la présidence de Ronald Reagan. Comment expliquez-vous cela ?

Le père, mon personnage, et son fils appartiennent à deux générations différentes. Mon personnage a presque connu l’esclavage. Enfant, il a assisté au meurtre de son père par le propriétaire de la plantation lequel avait violé sa mère. Dans le film, mon fils a grandi à Washington alors que moi, je travaille à la Maison Blanche. Ces deux personnages ont des façons complètement différentes de voir le monde. Ce qui anime mon personnage, c’est une logique de survie et de protection de son fils.

 
Et vous, vous sentez vraiment le besoin de vous engager dans des causes au-delà de votre travail d’acteur ?
 
Je suis un citoyen engagé. Je dirige deux fondations qui travaillent aux États-Unis, dans le sud du Soudan, en Ouganda et au Mexique. Je m’y consacre activement et je choisis aussi mes films en conséquence. J’œuvre pour le dialogue entre les peuples. Je crois aux histoires humaines comme le film Fruitvale Station inspiré d’un fait divers, le meurtre d’un jeune Noir par des policiers blancs. Ce film, j’ai tenu à le produire. De même pour le documentaire Rising From Ashes, lui aussi inspiré d’une histoire vraie sur l’équipe cycliste du Rwanda après le génocide. Donc oui, on peut dire que je suis engagé.
 
Et ce film Le Majordome, ça prend part de cet engagement ?

C’est un film qui prône le dialogue et la compréhension entre les peuples : les Noirs et les Blancs. Il faut déjà qu’on obtienne la reconnaissance de ce qui s’est passé avant de pouvoir passer à l’étape suivante qui guérirait nos blessures, la compréhension. Puis on pourrait passer à la suite, le pardon ou la repentance. Et à partir de là seulement, on pourrait s’aimer les uns les autres, se comprendre les uns les autres. Je fais cela à mon rythme. Certains films participent d’une meilleure compréhension entre les peuples. Certains films encouragent le dialogue. Et ce film-là, c’est donc un élément parmi d’autres de ce que j’essaye d’accomplir, en tant qu’être humain.

La condition des Noirs américains n’a pas forcément beaucoup évolué depuis l’élection de Barack Obama, même si c’était très important, et même si c’était très symbolique. D’ailleurs c’est ce que montre aussi Fruitvale Station, un film que vous produisez. Quelle est votre position justement là-dessus ?

Parlons franc. Ces questions-là existent dans tous les pays. Ici aussi en France, vous faites face à des problèmes. On l’a vu avec les polémiques concernant les questions du genre, du mariage homosexuel, de la guerre d’Algérie. Même en Suède, il y a des émeutes avec les communautés immigrées. Aux États-Unis, on a d’autres enjeux. Bien sûr, le but ultime de la communauté noire, c’est d’avoir une vie meilleure, heureuse, mais il y a encore beaucoup d’étapes à franchir. Il faut voir d’où l’on vient. Il y a encore beaucoup de problèmes à résoudre : les questions tribales, la répartition des richesses, la peur de ne pas avoir assez. Autant d’enjeux qui nous occupent encore actuellement. J’y travaille en tant que citoyen du monde. J’y travaille dans mon pays et partout ailleurs, car je ne vois pas de séparation dans ces identités. Je me sens avant tout citoyen du monde.

Partager :