Par Julien Leloup
« Je crois que c'est sur un rire qu'on m'a choisie » se rappelle Céline Monsarrat. « Le hasard a bien fait les choses... J’attendais dans une salle d’attente pour un autre film à doubler. Un chef de plateau est entré, il s’arrachait les cheveux parce qu’il avait fait un nombre important d’essais de voix de comédiennes. La major company n’arrivait pas à se décider. Il m’a dit : "Comme t’es là, viens". J’y suis allée ! C’était pour le film Pretty Woman. »
Aujourd’hui, le public qui regarde les films de Julia Roberts ou Bruce Willis en VF (version française) ne pourrait plus se passer des « voix » habituelles. Patrick Poivey double, avec talent, tous les films de Bruce Willis. Après un extrait de Die Hard 4, le comédien français explique sa priorité en doublage : « abîmer le moins possible Bruce Willis ».
Dans cette branche du métier de comédien, c’est l’humilité qui prime. Entre investissement de soi et retenue, il faut arriver à trouver le bon dosage pour être à la hauteur du jeu original de l’acteur. Dans un extrait d’Erin Brockovich, on perçoit justement cet équilibre dans la version doublée par Céline Monsarrat.
Jouer dans un studio sans scène, sans décor avec juste un micro et une barre devant soi, ce n’est pas facile pour un comédien. Mais chacun à sa méthode. Pour Patrick Poivey, il faut faire fonctionner son imaginaire et juste regarder le regard de l'acteur à doubler, « leurs yeux nous disent tout ».
Un art industriel
Les comédiens ne sont pas seuls dans le doublage. Il y a toute une chaîne de fabrication des versions françaises. D’abord un technicien, qu’on appelle « détecteur », qui répertorie tous les mouvements de lèvres des personnages et les retranscrit à la manière des hiéroglyphes.
Son travail passe entre les mains d’un adaptateur qui doit trouver des mots français pour qu’ils rentrent parfaitement dans la bouche de l’acteur étranger. L'adaptation française doit être ensuite calligraphiée sur une bande rythmo, à la main et à l'encre de Chine. L'écriture allongée ou courte donne le rythme de jeu des comédiens.
Et puis arrive l'enregistrement des voix en studio. Les comédiens sont dirigés par un chef de plateau, un peu comme au théâtre, ils jouent le texte qui défile sous l’écran. Leurs voix sont enfin montées et mixées avec tous les bruitages originaux, la musique du film etc.
C’est donc toute une industrie qui s’est progressivement mise en place pour concevoir les versions françaises des films et séries télévisées. Les diffuseurs (chaînes de télévision, distributeurs) ne peuvent se passer de la VF car le public français regarde, dans sa grande majorité, les œuvres en français. Le public a toujours eu une reconnaissance pour les comédiens qui font du doublage, alors que pendant un temps, cette discipline était dénigrée dans le milieu artistique.
A tort, puisqu’elle permet d’enrichir sa palette d’acteur. « Julia Roberts m'a permis de jouer des rôles que je n'aurai pas eu à cause de mon physique », explique ainsi Céline Monsarrat.
Reconnus dans des lieux improbables
Evidemment, avec des voix aussi identifiables à la télévision, au cinéma, à la radio, les comédiens qui font du doublage sont fréquemment démasqués. Et les anecdotes truculentes foisonnent dans le milieu du doublage.
Preuve qu'il y a une autre vie pendant ou après le doublage, Patrick Poivey jouera prochainement dans un court et moyen-métrage. Et Céline Monsarrat monte en ce moment une comédie musicale intitulée Rue du dessous des berges. Un huis clos avec sept personnages dans un cabaret des années 1910. A découvrir fin octobre sur les planches.
Bande-annonce du spectacle visible sur www.ruedudessousdesberges.com