Le public a d’abord découvert leurs visages, captés par les caméras de surveillance quelques minutes avant l’explosion des deux bombes. Puis les autorités ont dévoilé leur identité, avant que la presse ne publie leur histoire ou des bribes de celle-ci. L’Amérique a alors réalisé que les auteurs présumés du double-attentat du marathon de Boston étaient des jeunes gens presque ordinaires. Deux frères vivant depuis une dizaine d’années aux Etats-Unis, arrivés de leur Caucase natal à 9 et 16 ans.
L’aîné, Tamerlan, 26 ans, est décédé jeudi soir lors d’une course poursuite avec les forces de l’ordre. Le plus jeune, Djokhar, est désormais aux mains du FBI, hospitalisé après avoir été capturé à l’issue d’une chasse à l’homme dans la ville de Boston. Il n’y a donc plus que lui pour expliquer leur geste meurtrier aux enquêteurs et les éclairer sur leur dérive terroriste.
Dérive terroriste
« Pourquoi de jeunes hommes qui ont grandi et étudié ici parmi nous, dans notre pays, ont recours à une telle violence ? Comment ont-ils planifié et mené ces attentats ? », questionnait vendredi le président américain Barack Obama. Le parcours des deux jeunes gens va être passé au peigne fin pour comprendre, où en tous les cas, essayer de trouver des réponses. Quel rôle a joué leur origine, leur religion dans ce plan macabre ? C’est à ce mystère que sont confrontés les enquêteurs.
Tamerlan et Djokhar ont tous les deux des racines tchétchènes. Ils ont grandi en Asie centrale après que leur famille ait quitté leur région d’origine dans les années 1990 ravagée par deux guerres. C’est grâce à une tante déjà en Amérique que la famille Tsarnaev obtient en 2003 l’asile aux Etats-Unis. Les parents avec leurs garçons s’installent alors près de Boston, les deux enfants sont scolarisés dans des écoles américaines. Mais là où Djokhar, le benjamin, semble s’intégrer sans difficulté, les choses sont moins évidentes pour l’aîné.
Intégration manquée pour Tamerlan
Tamerlan n’est jamais parvenu à se trouver une identité américaine. Il a même fini par arrêter ses études pour se consacrer à la boxe. Un photographe américain l’avait d’ailleurs suivi quelques semaines en 2010 pour un reportage intitulé « Je boxe pour un passeport ». Marié, père d’une petite fille, il s’était au fil des années radicalisé dans son discours mais aussi dans son approche de sa religion. Musulman d’origine, Tamerlan s’était refermé sur lui-même, revendiquant n’avoir aucun ami américain. « Je ne les comprends pas », déclarait-il en 2010.
Ses parents se séparent alors à cette même période et finissent chacun de leur côté par rentrer au Daghestan, laissant les deux frères seuls aux Etats-Unis. Sans cette présence familiale, Tamerlan semble perdre doucement pied. Une de ses tantes vivant au Canada a notamment raconté à la presse qu’il avait ensuite arrêté de combattre torse nu, qu’il évitait les filles, imposait le voile à sa femme. Ses proches décrivent son tempérament parfois violent. Et c’est d’ailleurs suite à une affaire de violence conjugale qu’il n’avait pas obtenu la nationalité américaine.
Djokhar où la réalisation du rêve américain
Le plus jeune, Djokhar, lui, semblait bien loin des problèmes existentiels de son frère. Au contraire, l’Amérique lui a réussi puisqu’il a obtenu la nationalité en 2012. Il s’est facilement intégré et ses études semblaient prometteuses. Sportif comme son frère, il a nourri une passion pour la lutte et a même obtenu une bourse en 2011. Peu de temps après, il avait commencé un cursus en médecine à l’université de Dartmouth. Il est encore aujourd’hui décrit par ses amis comme « normal », « gentil », à l’image du jeune américain actif sur les réseaux sociaux. Les messages que l’on peut trouver sur sa page Facebook ou son compte Twitter montrent un jeune homme partagé entre ses études, les filles et le manque de sommeil, qui dit aimer les chats et détester les gens désordonnés.
Un jeune comme tous les autres mais qui semble vouer depuis toujours un culte à son frère aîné. Au point de le suivre dans sa dérive ? Si Djokhar n’a jamais fait de vague sur la Toile, il n’en va pas de même pour Tamerlan. Sur une page YouTube, créée à son nom en août 2012, il avait marqué plusieurs vidéos dans ses favoris dans les catégories « islam » et « terrorisme ». Et avait déjà attiré l’attention du FBI qui l’avait interrogé il y a presque deux ans « à la demande d’un gouvernement étranger ». A l’époque, la police fédérale n’avait trouvé aucune information suspecte.
Les Etats-Unis face à une menace intérieure
Tamerlan a-t-il entrainé son jeune frère dans sa folie meurtrière, ou les deux hommes se sont-ils radicalisés religieusement pour sombrer dans l’islam fanatique ? Difficile de répondre à ces interrogations pour le moment. Une chose est sûre, les deux frères avaient prévu leur action depuis plusieurs mois et disposaient d’un arsenal de guerre composé d’explosifs, d’armes de poing et de fusils. Ils n’ont pas hésité à tuer un policier pour tenter d’échapper aux forces de l’ordre, montrant leur détermination et à frapper au cœur des Etats-Unis où ils vivaient pourtant depuis de nombreuses années.
Preuve est faite que la plus grande menace pour le pays vient désormais de l’intérieur. En effet, une étude du centre Rand réalisée par l’expert sur les questions de terrorisme Brian Jenkins sur le profil des jihadistes aux Etats-Unis conforte cette impression. Sur les 104 attentats, projets ou tentatives d’attaques recensés dans le pays depuis le 11-Septembre, les trois-quarts ont été initiés par des citoyens américains. La moitié des personnes impliquées étaient même nées sur le territoire et 29% avaient été naturalisées. Les frères Tsarnaev en sont une illustration assez fidèle, et pour eux, explique Brian Jenkins, « le jihad est moins l’expression d’une croyance religieuse qu’un prétexte à l’expression d’un malaise personnel ».