En quatorze ans au pouvoir, Hugo Chavez a réussi à laisser son empreinte sur l’Amérique du Sud. Avec son projet d’instaurer dans son pays le « socialisme du XXIe siècle » et son idéal de la « révolution bolivarienne », le chef de l’Etat vénézuélien a fortement marqué les esprits du continent. « Hugo Chavez a réussi à donner un nouveau sens au mot socialisme, un nouveau contenu au mot révolution », estime l’anthropologue Paula Vasquez, d’origine vénézuélienne, et chargée de recherche au CNRS. « Et il l’a fait non pas en s’identifiant avec les vieilles gauches, comme par exemple le parti socialiste chilien ou encore les socialistes à l’européenne, mais en cherchant un ancrage avec d’autres gouvernements qui ont tous émergé sur fond d’une longue histoire d’inégalités et d’oubli des plus défavorisés de la société latino-américaine. »
Chavez, l'anti-américain
L'arrivée au pouvoir d'Hugo Chavez en 1999 est suivie dans les années 2000 par l'élection de plusieurs autres présidents de gauche : Rafael Correa en Equateur, Evo Morales en Bolivie, et Daniel Ortega au Nicaragua. C’est l'émergence ce qui est aussitôt baptisé « la nouvelle gauche radicale latino-américaine ». Elle partage avec Hugo Chavez un anti-américanisme primaire. Comme son idole, Simon Bolivar, le « libérateur », Hugo Chavez est porté par l’idée de l’Union des peuples de l’Amérique du Sud. Comme Simon Bolivar, qui a libéré une partie de l’Amérique latine de la colonisation espagnole, Hugo Chavez, veut libérer la région de l’hégémonie nord-américaine. Les éternelles provocations et insultes du président vénézuélien à l'adresse de George W. Bush, telles que « tu es un âne M. Bush, un lâche, un assassin, tu es le pire M. Danger » ou encore « allez au diable, Yankees de merde », resteront dans les annales.
Pour Renée Frégosi, directrice de recherche en science politique à l'Institut des Hautes études de l'Amérique latine, cet anti-américanisme est avant tout une posture idéologique. « C'est vrai que Chavez a pris une grande importance au niveau du discours contre l'empire nord-américain. Effectivement, Chavez représente toujours l'extrême gauche latino-américaine, fantasmatique, un peu mystique. Mais dans les faits, souligne la politologue, le Venezuela a toujours continué à vendre son pétrole aux Etats-Unis. »
Ce décalage est aussi mis en avant par Paula Vasquez : « Pendant toutes ces années, les Etats-Unis sont restés le partenaire commercial le plus important pour le Venezuela. Et Caracas continue en effet à fournir son pétrole aux Etats-Unis, notamment vers la côte est. On peut dire que les voitures à Boston roulent toutes avec le pétrole vénézuélien. »
Des alliances régionales contre l’influence de Washington
Pourtant, au-delà du simple discours, Hugo Chavez s'est effectivement employé à faire reculer l'influence de Washington en Amérique latine, et non sans un certains succès, estiment les experts. Pour cela, le président vénézuélien a créé des alliances régionales, dont l’Alba, l’Alliance bolivarienne des peuples d’Amériques. « C’est une initiative qui a été lancée en 2004 par Hugo Chavez et Fidel Castro afin de s’opposer aux politiques libérales d’un monde globalisé, rappelle Alain Musset, directeur d’études à l'Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS). Plusieurs pays se sont ensuite alliés à cet axe La Havane-Caracas, comme l’Equateur, la Bolivie, le Nicaragua, le Honduras [jusqu’au coup d’Etat qui a entraîné en 2009 la chute du président Manuel Zelaya, ndlr], et quelques petits pays des Caraïbes. »
« Donc, poursuit le chercheur, il y a eu effectivement une réunion d'intérêts autour d’Hugo Chavez dans cette politique d'intégration régionale. Bien évidemment, ce processus est accompagné par une certaine rhétorique, mais il s'appuie sur une réalité qui est la puissance économique du Venezuela grâce à la rente pétrolière. Par ailleurs, Hugo Chavez a essayé d'avancer des pions, notamment dans l'Unasur. L'Union des nations d'Amérique du Sud a été créée à l’initiative du Brésil en 2008 et a été utilisée par le Venezuela pour s'opposer au grand projet de zone de libre-échange des Amériques qui était plutôt porté par Washington. Donc on le voit, ces efforts diplomatiques ne sont pas restés sans effets. »
Sans Chavez, l’Amérique latine serait chamboulée
Si Chavez venait à disparaître de la scène politique, cela porterait avant tout « un coup dur au premier cercle des pays amis du Venezuela », à savoir les membres de l’Alba, estime Alain Musset qui rappelle que ces pays « dépendent en grande partie des ressources du Venezuela pour se développer et pour appliquer leurs propres politiques. Et le pays qui aura à mon avis le plus de soucis à se faire dans ce domaine, c’est sans doute Cuba ».
Mais la disparition d'Hugo Chavez pourrait également chambouler le reste du continent latino-américain. « Prenez par exemple le chef de l’Etat colombien Juan Manuel Santos, qui est ni pro-Chavez, ni un président de gauche, analyse Paula Vasquez. Pourtant, il a souhaité sincèrement que la guérison d’Hugo Chavez se déroule bien, ou qu’au moins la transition au Venezuela se passe le mieux possible. Parce que Juan Manuel Santos sait, comme tout le monde, à quel point une déstabilisation du Venezuela pourrait entraîner des conséquences dans d’autres pays du continent. »