La chronologie de l'affaire :
Juillet 2007 : bavure américaine en Irak
L’affaire commence en avril 2010. Le site WikiLeaks qui n’est pas à l’époque encore très connu, diffuse sur internet une vidéo réalisée par l’armée américaine. La scène se déroule à Bagdad en juillet 2007. Les images sont prises d’un hélicoptère américain, ce sont celles dont dispose le pilote de l’appareil pour décider ou non d’engager le combat. La scène est longue. Pendant de longues minutes, l’hélicoptère tourne autour d’un pâté de maisons. Le seul commentaire est celui du pilote : il cherche à évaluer si les hommes qui sont au sol sont des combattants.
Le passage de l’hélicoptère ne provoque aucune réaction de fuite parmi les Irakiens, mais le pilote croit distinguer une arme. Sur ordre de son commandement, il engage le feu. Ce que le pilote a pris pour une arme est une caméra, les soi-disant combattants sont tous des civils. Résultat : onze morts, tous des civils dont le journaliste qui portait la caméra. Même les personnes qui tentent de leur porter secours et de les emmener à l’hôpital sont visées par l’hélicoptère. La vidéo s’achève sur l’arrivée des troupes au sol qui constatent qu’il n’y avait aucun combattant.
Avril 2010 : la vidéo explosive atterrit sur internet via WikiLeaks
Pendant près de trois ans, la vidéo reste dans les archives de l’armée américaine. Mais lorsque qu’elle est rendue publique, elle embarrasse visiblement le porte-parole de la Maison Blanche, Robert Gibbs qui, gêné devant son pupitre, se contente de déclarer que « Ces images sont très dures à voir (…) C'est extrêmement tragique ».
L’armée américaine, moins gênée par les images que par le fait que cette vidéo se retrouve aux yeux du public, engage une enquête, et ne met pas longtemps pour remonter jusqu’à Bradley Manning. Il faut dire que le sergent qui est arrivé en Irak en octobre 2009, leur facilite le travail : il s’est vanté auprès d’un ami d’être l’auteur des fuites. Au début du mois de juillet 2010, l’armée l’arrête, mais il est trop tard : en coopération avec de nombreux titres de la presse mondiale, WikiLeaks diffuse sur le réseau, des milliers de télégrammes militaires ou diplomatiques.
Automne 2010 : WikiLeaks héros de la presse ou informateur zélé ?
Cette opération spectaculaire déclenche un violent débat entre ceux qui défendent la liberté d’informer sans limite et ceux qui dénoncent une nouvelle forme de totalitarisme. « Quand WikiLeaks met en ligne une vidéo qui représente une bavure, qu’elle est diffusée, que tout le monde peut y avoir accès, on peut considérer que ça relève d’une action qui bénéficie au public en général, estime Justin Vaïsse, directeur de recherche à la Brookings Institution. Mais il y a eu des implications directes sur des gens qui étaient nommés dans ces télégrammes diplomatiques. Par exemple, le Premier ministre du Zimbabwe qui a été au centre d’une campagne de diffamation orchestrée par le gouvernement sur la base des câbles de WikiLeaks ou encore, tous les gens qui ont parlé aux diplomates américains sous le sceau du secret et qui ont été inquiétés voire persécutés ».
L’un des 22 chefs d’inculpation retenus contre Bradley Manning l’accuse de « collusion avec l’ennemi » car dans les documents rendus publics, il y a des documents très sensibles explique toujours Justin Vaïsse. « On dévoilant les positions diplomatiques des Etats-Unis ou l’opinion des diplomates sur telle ou telle situation, on se rapproche de l’acte de trahison car il y’ a d’excellentes raisons pour lesquelles ces documents sont confidentiels et dans ce cas, les révéler ne sert aucun intérêt particulier ».
Février 2012 : Bradley Manning, héros ou bouc émissaire ?
C’est cette trahison qui vaut aujourd’hui à Bradley Manning d’être devant une cour martiale et de risquer la prison à vie. Reste à savoir si l’ancien sergent a été seul à copier et transmettre ces documents au site de Julian Assange.
Sur ce point, François Géré directeur de l’Institut français d’analyse stratégique est catégorique : « Penser que Bradley Manning est à lui seul le divulgateur de 250 000 documents et notamment d’un grand nombre de documents du département d’Etat auxquels il ne devait pas avoir théoriquement accès, c’est lui mettre tout sur le dos, et évidemment, faire aussi un exemple pour faire réfléchir tout ceux qui ont probablement fait comme lui. Il y a eu d’autres documents concernant l’Afghanistan qui ne sont très certainement pas de son fait. Par contre, son action a très certainement inspiré et encouragé d’autres militaires Américains à vouloir rendre public un certain nombre de manquements et d’atrocités qu’ils ont eues sous les yeux ». « Il n’a pas été le seul » est l’un des rares arguments dont dispose le comité de soutien pour défendre Bradley Manning. Un argument et aussi une chanson Almost Gone interprétée par Graham Nash et James Raymond, dont le refrain proclame « dis la vérité et tu seras libre ».