Des accusations de harcèlement sexuel et voici le candidat montant, Herman Cain, désarçonné. Des trous de mémoire lors d’un débat télévisé, et c’est l’un de ses concurrents, Rick Perry, dont la verve ne lui avait jusque-là pas fait défaut, qui mord à son tour la poussière. Michèle Bachmann ? Peu crédible pour nombre de républicains qui voient dans l’égérie du Tea Party un discours bien trop radical, donc peu audible à l’échelle nationale. Tous à terre, après une belle envolée dans les sondages. Il en restait donc un, parmi les principaux rivaux du mormon Mitt Romney, à n’avoir pas encore goûté au crépitement des flashs, et à croire véritablement en ses chances.
Chose faite depuis quelques jours. Les médias, outre-Atlantique, ne parlent que de lui. Les sondages sont au beau fixe. Le dernier en date, publié par Ipsos/Reuters ce dimanche 20 novembre, le donne même devant le gouverneur du Massachussetts, pour deux petits points (24% contre 22%). A en croire ces résultats, Newt Gingrich serait donc le nouveau champion des républicains.
Un retour fracassant dans l’opinion publique républicaine, alors que cinq mois plus tôt, tous les observateurs avertis le voyaient « fini ». En juin dernier, ce conservateur pur et dur était lâché par une partie de son staff. Les finances de sa campagne étaient au plus bas. Sa cote de popularité guère plus élevée. Selon ses propres mots, c’était une « expérience proche de la mort ».
Mais le revoilà. Bien vivant. Acerbe dans ses déclarations - aux manifestants du mouvement Occupy Wall Street ? « Allez trouver du boulot après avoir pris un bain! » - il retrouve ses réflexes d’animal politique qui lui avaient valu le titre d’homme de l’année 1995, décerné par le magazine Time, pour son opposition à l’administration Clinton alors qu’il siégeait à la présidence de la Chambre des représentants.
Le come-back d’un vieux routier de la politique
Newt Gingrich n’est pas vraiment un nouveau venu dans le paysage politique américain. Il siégeait parmi les députés dès 1978. Un pur produit de Washington, dont il connaît tous les arcanes. « Il a eu du mal, dernièrement, à s’affirmer au sein du Parti parce qu’il a laissé un très mauvais souvenir, tempère pourtant François de Chantal, maître de conférences à l’université de Bourgogne et co-rédacteur en chef de la revue Politique américaine. C’est celui-lui qui est associé aux excès de la vie politique des années 1990, aux attaques contre Clinton, aux allégations de corruption ». Un épisode qui n’a pas vraiment bénéficié à l’aura du parti. Ajoutez à cela une vie privée plutôt « riche » - il fut marié trois fois - et vous n’êtes pas en pôle position, sur le circuit républicain, pour arriver premier au terme des primaires.
Ce même Time qui le sacrait seize ans plus tôt, croit aujourd’hui en une possible résurrection. Un énième come-back. « The new new new Newt », titre la revue cette semaine aux Etats-Unis. Son programme économique demeure pourtant bien ancré au socle républicain : allègement des taxes, renforcement du dollar et, évidemment, suppression pure et simple de la réforme de santé démocrate. Mais il a ajouté quelques pincettes d’idées bien à lui : il a ainsi proposé, lors d’une de ses dernières sorties télévisées, de faire payer les actes médicaux « inutiles », comme les tests de dépistage du cancer. « Nous sommes dans les ‘ primaires invisibles ’ », rappelle François de Chantal – puisque le vote Etat par Etat n’a pas débuté. On est donc dans la surenchère permanente ».
Mais Newt Gingrich a un atout indéniable : son expérience. « Les républicains s’intéressent de plus en plus aux débats, note Tom McGrath, président en exercice de la représentation officielle du Comité national républicain en France, la Republicans Abroad France. Même s’il a l’occasion de parler seulement huit ou neuf minutes, il démontre que c’est quelqu’un qui réfléchit sur beaucoup de choses. Et il joue sur la scène nationale depuis beaucoup plus longtemps que les autres ». Ce que confirme la dernière étude d’opinion : 55% des républicains le considèrent comme « habile ». Un score qu’il partage avec Mitt Romney.
Et bien qu’on le soupçonne d’avoir opéré un travail de lobbying politique au bénéfice du géant du crédit immobilier Freddie Mac au cours des années 2000, il est encore perçu comme l’un des candidats républicains les plus « honnêtes ».
Vers un duel Romney-Gingrich ?
Reste à savoir ce que traduit, au sein du Parti républicain, cette soudaine percée de Gingrich et si l’homme politique saura en tirer partie. Pour le républicain Tom McGrath, Gingrich profite avant tout du manque de conservatisme de son rival. « Mitt Romney a signé une loi de réforme de la santé, dans son Etat, qui ressemble beaucoup à celle des démocrates en 2010 », note-t-il ainsi.
Ce que confirme Nicolas Boyon, senior vice-président chez Ipsos Public Affairs à New York : « La montée de Gingrich démontre avant tout la faiblesse de la candidature de Romney. Il y a beaucoup de conservateurs qui n’ont pas confiance en lui ». Le vote Gingrich aurait donc tout d’un vote anti-Romney.
D’autant que Newt Gingrich pourra compter sur une part non négligeable du vote des Tea Party. S’il n’est pas le candidat favori des membres de ce mouvement radical prônant, à la droite du Parti républicain, le désengagement quasi-total de l’Etat de la vie publique, il est tout de même préféré au gouverneur du Massachussetts, bien trop modéré.
De là à envisager une investiture républicaine de Newt Gingrich à l’élection suprême ? « Je vous certifie que non », tranche tout de suite François de Chantal. « Il n’a aucune chance d’être sélectionné, car les républicains seraient certains d’être complètement écrasés. Si Gingrich a laissé un mauvais souvenir chez les républicains, dans l’opinion publique générale, le souvenir est encore plus négatif ».
Le pragmatisme l’emporterait donc quoi qu’il arrive. Ce que soulignent d’ailleurs les sondages : ainsi paradoxalement, si Gingrich devance aujourd’hui Mitt Romney, c’est ce dernier qui demeure pour les membres du « Grand Old Party », à 42%, le candidat le plus à même de battre Barrack Obama en 2012.