Avec notre envoyée spéciale en Haïti
Jusqu’à aujourd’hui il y a encore des gens qui doutent de la tenue même du scrutin, et des gens qui ne savent pas s'ils pourront voter et où, dans quel bureau de vote, car ils n’ont toujours pas obtenu de carte d’identité. En général ce sont les gens les plus vulnérables, ceux qui ont tout perdu dans le séisme. Mais ceux qui le peuvent tiennent vraiment à s’exprimer par la voix des urnes. Ce n’est pas que les attentes soient énormes, mais ils veulent exercer ce droit.
Un processus électoral très critiqué
Malheureusement c’est un peu la règle ici, au lieu de parler des élections les gens préfèrent parler de sélections. Les critiques portent sur le conseil électoral provisoire, de même que le recrutement du personnel électoral dans les bureaux départementaux, cela a déjà donné lieu à quelques incidents violents dans le nord.
Pour emporter la présidentielle, un candidat doit obtenir 50 % des suffrages plus une voix. Au vu des sondages, il semble difficile qu’un candidat obtienne un tel résultat dès le premier tour, vu l’éparpillement des voix sur les dix huit candidats qui restent en lice, pourtant, le doute plane quant à l’éventualité d’un second tour.
Aratus, jeune homme de 29 ans, électricien musicien au chômage, rencontré lors d’un meeting au Cap Haïtien n’y croit pas : « Il ne va pas y avoir de deuxième tour à ces élections. Ce qui va se passer c’est que la communauté internationale donne de l’aide, et le gouvernement qui organise ces élections canalise toutes ces aides vers le parti Unité qui va probablement remporter tous les sièges, du président, du Sénat et de la chambre des députés. Donc pas de second tour. Ils vont probablement mettre des chimères pour déranger les populations, ils vont frapper, frapper, pour dire que c’est le parti Unité qui a gagné les élections. »
Craintes d’une flambée de violences à l’issue du scrutin
Après le vote, un nouvel épisode de violence politique est possible, mais aussi avant et pendant. Il y a d’une part, des accusations à l’égard des étrangers qui favorisent le pouvoir en place. Et puis il y a cette référence faite aux chimères, qui renvoie à une page sombre de l’histoire récente d’Haïti, lorsque ces milices armées ont voulu défendre le maintien au pouvoir du président Aristide en 2004.
Manifestement, ces groupes d’exécutants des basses œuvres sont toujours à l’œuvre. Ce dont témoigne Aratus, ce père de famille vivant dans des conditions précaires. « On est pas débarrassé des chimères, pas du tout. Si on va dans leurs bases, on voit bien que c’est là qu’on distribue de l’argent. Alors que nous, dans ce quartier depuis le matin on n'a rien à se mettre sous la dent. Ça existe toujours. Cela se passe dans le ghetto, au bidonville, là où il y a les mecs les plus violents, des gens qui sont prêts à tuer pour 50 gourdes. »
Une vie pour un euro. Pour ceux-là qui ont eu une éducation, qui ont appris un métier et ne trouvent pas de travail, c’est un sentiment d’injustice extrême de voir ainsi l’argent servir à recruter dans les bas fonds pour faire régner la loi du plus fort. Dans ces conditions, que peut-on attendre d’un bon président ?
Woodlin Decius est plombier au Cap Haïten et il est fermement décidé à remplir son devoir de citoyen. Pour lui, le bon président « doit faire la décentralisation. Il doit s’assurer qu’il y ait des infrastructures universitaires dans tous les départements. Parce que tout va vers le département de l’ouest, où c’est Port-au-Prince qui domine tout. Je vous rappelle qu’il y a eu un séisme destructeur le 12 janvier, c’est pour ça que plein de gens viennent se réfugier dans les autres départements. Nous on est né ici, on a étudié ici au Cap Haitien, mais ce département du nord n’a rien reçu du gouvernement de l’Espoir, ni de ceux qui l’ont précédé. C’est un département oublié, laissé pour compte. »