C’est un coup de pouce de dernière minute pour Joe Biden. Pete Buttigieg, vainqueur du scrutin en Iowa, l'a annoncé le premier en fin d’après-midi ce lundi 2 mars : il jette l’éponge et fera désormais campagne derrière l’ex-vice-président.
« Quand je me suis présenté à la présidence, lance Pete Buttigieg, j’ai clairement expliqué que mon but était de rassembler le pays pour battre Donald Trump. Et c’est au nom de cet objectif que je suis ravi d’endosser la candidature de Joe Biden à la présidence. »
Un peu plus tard dans la soirée, c’est Amy Klobuchar qui, lors d’un meeting de Joe Biden au Texas, à Dallas, a annoncé son ralliement derrière lui : « Aujourd’hui, je mets un terme à ma campagne et je soutiens Joe Biden pour la présidence ».
Au cours du même meeting, le Texan Beto O'Rourke a aussi déclaré qu’il soutenait officiellement Joe Biden : « Nous avons besoin de quelqu’un qui va se battre pour la démocratie ici et ailleurs, parce que la démocratie est attaquée ici et ailleurs. Nous avons besoin de Joe Biden ». Les sondages donnent Biden et Sanders au coude-à-coude au Texas.
« Amy Klobuchar en vice-présidente »
Dans un autre meeting dans le même État texan, à Houston ce lundi, Joe Biden a voulu se démarquer de Bernie Sanders et Michael Bloomberg. « Vous savez que les démocrates veulent un candidat qui soit démocrate, un démocrate depuis toujours, un fier démocrate. Nous sommes honnêtes, courageux et résistants. Nous pouvons espérer à nouveau, donc levez-vous et reprenons ce pays ! »
Pour les démocrates centristes, rapporte notre envoyé spécial à Houston, Thomas Harms, il ne leur reste qu’un seul candidat qui peut battre Donald Trump : Joe Biden. « J’aime la politique de Bernie Sanders, confie un militant, mais il n’a aucune chance contre Trump. » Une autre dit : « J’aimerais avoir Klobuchar en vice-présidente. C’était mon choix numéro 2. Et j’aimerais avoir une femme à ce poste ». Un troisième militant : « J’anticipe qu’après le Super Tuesday Michael Bloomberg va rallier Biden également. »
Les centristes veulent ainsi présenter un front uni pour faire barrage à Bernie Sanders, rapporte notre correspondante à Washington, Anne Corpet. Mais un modéré joue encore en solo : Michael Bloomberg. Le milliardaire new-yorkais reste l'inconnue de ces primaires. Il convoite aussi cet électorat centriste et, pour le capter, il a dépensé des centaines de millions de dollars. Il affrontera les urnes pour la première fois ce mardi.
« Il s'agit d'être pragmatique »
Jusqu’à la dernière minute, les candidats démocrates qui se disputent le « Super Tuesday » ont fait campagne. Leurs équipes étaient très mobilisées sur le terrain. C’était le cas des bénévoles de Joe Biden en Virginie. Depuis la victoire de l’ancien vice-président en Caroline du Sud et les ralliements derrière lui, les militants veulent croire à une victoire de leur candidat ce mardi.
Notre envoyé spécial en Virginie, Achim Lippold, a rencontré Jody Titleman, une militante de Joe Biden. Elle explique pourquoi elle a choisi de faire campagne pour lui, malgré ses positions plus « progressistes », donc plus à gauche. « Honnêtement, mon objectif principal est ce besoin désespéré de me débarrasser de Donald Trump comme président, confie-t-elle. J’estime que Joe est le mieux à même de le faire, car il a la décence, les valeurs et l’expérience. J'ai des positions plutôt progressistes. Mais là, il s’agit d’être pragmatique. »
Jody Titleman se dit sensible à « cet enthousiasme en faveur d'une révolution et cette volonté de renverser la table ». Une allusion aux idées portées par Bernie Sanders, qui se présente ouvertement comme un « socialiste » qui refuse d'être encarté au Parti démocrate. « Mais là, en ce moment, j’ai juste envie d’un peu de calme, de chaleur et de décence. Et Joe Biden dégage tous ces éléments. Il les incarne de fait ».
« Fatiguée de voir des hommes blancs âgés gouverner le pays »
Cependant, en Virginie, tous les sympathisants démocrates n'ont pas arrêté leur choix entre Joe Biden et Bernie Sanders. Beaucoup restent encore indécis. Exemple à Richmond, la capitale de cet État où Hillary Clinton l'avait emporté contre Donald Trump en 2016.
Dans la brasserie Legend, les discussions tournent autour de la politique. Lisa Edwards est une militante démocrate de longue date. Mais cette année, elle du mal à faire son choix pour le « Super Tuesday » : « Tout le monde a ses qualités. Il faut vraiment que je réfléchisse. J’ai beaucoup aimé Pete Buttigieg. Mais bon, je ferai tout ce que je peux pour que Donald Trump soit battu ».
Un choix stratégique que ne partage pas Anne Creech, employée dans une librairie universitaire. Elle soutient Elizabeth Warren, sachant que la sénatrice n'aura aucune chance de gagner l'investiture du parti. « Je suis fatiguée de voir des hommes blancs âgés gouverner notre pays. [Elizabeth Warren] a des projets progressistes et une certaine expérience politique. Je considère mon vote comme un entretien d’embauche : j’embauche quelqu’un pour un travail et j’estime qu’elle est la plus qualifiée. »
L'enjeu du vote noir, l'autre atout de Joe Biden
Une autre électrice démocrate, l’Afro-Américaine Eileen, hésite entre l’ancien vice-président Joe Biden et l’ex-maire de New York Michael Bloomberg, qui a placé la Virginie au cœur de sa campagne électorale. « Je pense que Bloomberg a les c... pour affronter Trump. Il peut lui dire face à face que c’est un menteur. Il est plus fort que les autres », dit-elle.
Surtout, Eileen ne veut pas se laisser tromper. « Ce week-end, j’ai vu à la télé que les autres candidats utilisent Obama dans leurs spots de campagne pour obtenir notre vote, pointe-t-elle. Mais ça ne marchera pas comme ça ! Nous sommes plus intelligents que cela. »
Eileen en est persuadée : celui qui remporte la majorité du vote afro-américain en Virginie, gagne aussi le « Super Tuesday » dans cet État du Sud. Et les derniers sondages lui donnent raison : l’ancien vice-président de Barack Obama attire plus d’électeurs noirs que ses concurrents dans les principaux États du « Super Tuesday ».
Bloomberg en délicatesse avec les Afro-Américains
« Joe Biden, en tant que vice-président d’Obama et grâce à sa relation étroite avec ce dernier, peut compter naturellement sur l’électoral afro-américain, souligne Julian Hayter, spécialiste de l’histoire afro-américaine et professeur à l’université de Richmond. Bernie Sanders, en revanche, je ne dirais pas qu’il se montre un peu arrogant, mais les électeurs afro-américains sont très pragmatiques et votent vraiment en fonction de leurs intérêts. Et ils pensent que Bernie Sanders n’a pas fait les efforts nécessaires pour les convaincre de s’exprimer en sa faveur. Ce qui ne veut pas dire que le programme politique de Bernie Sanders ne bénéficierait pas aux Afro-Américains. En fait, il faudrait qu’il s’adresse plus spécifiquement à eux. »
Mais Bernie Sanders ne sera pas le seul en délicatesse avec cet électorat. « Michael Bloomberg aura, lui aussi, des difficultés à séduire les électeurs noirs, rappelle Julian Hayter. D’abord à cause de la méthode de "stop and frisk", c’est-à-dire "d’interpellation et de fouille", qu’il avait mise en place à New York. Il y a des Afro-Américains qui voteront pour lui, c’est sûr, mais il aura du mal à faire oublier ses pratiques lors qu’il était maire de New York. »
Pas de candidat désigné ce mardi contre Donald Trump
Si Joe Biden a rebondi après avoir bien mal démarré la course, il n'est pas le favori de ce « Super Tuesday ». Bernie Sanders est pour le moment en tête de la course : les sondages le donnent gagnant en Californie, l’État qui compte le plus grand nombre de délégués. Le sénateur du Vermont bénéficie d’un maillage très dense de militants sur le terrain, et d’un fonds de campagne bien plus important que celui de Joe Biden.
Ce super mardi, crucial pour la suite, ne permettra pas de déterminer le candidat qui affrontera Donald Trump. Un total de 1 357 délégués sortiront des urnes, soit un peu plus d’un tiers du nombre total de délégués. Or, il faut atteindre plus de la moitié pour être officiellement désigné comme candidat du Parti démocrate.
Bernie Sanders pourrait bien creuser son avance de manière décisive et poursuivre sa dynamique. Le chercheur à l'Université du Québec à Montréal Alexis Rupin confirme : « Le but ultime pour Sanders, c'est de "tuer le match" en prenant une avance considérable en terme de délégué pour montrer qu'il est celui qui mobilise le plus la base et convainc le plus les électeurs donc celui a qui il faut donner l'investiture. Parce qu'on sait qu'il est très critiqué par l'establishment du parti démocrate. »
Mais il faudra attendre pour savoir qui portera les couleurs du parti en novembre. Il y a encore des primaires jusqu’en juin. Et le risque est réel qu’aucun candidat ne soit désigné avant la convention du parti à la fin du mois de juillet.
►À écouter : «Super Tuesday» aux États-Unis: six candidats dans la course à l’investiture démocrate