De notre envoyée spéciale,
L’Iowa est un « flying over state », l’un de ces Etats que l’on survole habituellement, où l’on ne s’arrête pas : essentiellement agricole, concentré sur la culture quasi exclusive du maïs, il compte trois millions d’habitants, en majorité blancs. Mais une fois tous les quatre ans, à l’occasion des caucus, l’Iowa fait palpiter le cœur du monde politique américain. « Cela fait du bien d’être au centre de l’attention pour quelques semaines. Cela arrive tous les quatre ans comme les jeux olympiques », sourit Mike Traper qui propose dans sa boutique de Desmoines des tee-shirts et toutes sortes de gadgets sur le thème de la politique, « On fait de bonnes affaires, probablement 25 % des gens dans ce magasin ne seraient pas là sans le caucus. Tous les candidats à la présidence à l’exclusion de Joe Biden et de Donald Trump sont venus dans ma boutique ».
Bernie Sanders en tête
Dans l’enceinte de la salle de spectacle de Cedar Rapids, à l’est de l’Etat, trois mille personnes se pressent pour assister au plus grand meeting de cette campagne : celui de Bernie Sanders. Pour être sûr de faire le plein, le vétéran de l’aile gauche du parti a aussi convoqué un groupe de rock de New York en deuxième partie de soirée. « Tout commence ici en Iowa » lance le sénateur du Vermont à une foule bariolée de pancartes à son nom.
Vêtu d’un tee-shirt aux couleurs du candidat,Dylan Murphy, étudiant irlandais de 25 ans, a traversé l’Atlantique pour soutenir Bernie Sanders : « Bernie va construire un consensus global pour agir sur le climat. C’est pour cela que je suis là. C’est un monde global. Tout est connecté et tout commence en Amérique donc je suis venu à la source, pour agir », nous explique le jeune homme. Sur scène, le sénateur mobilise ses partisans : « C’est peut-être l’élection la plus importante de l’histoire des Etats-Unis. S’il y a une faible mobilisation lundi, nous allons perdre. Mais s’il y a un fort taux de participation nous allons gagner ! » déclare Bernie Sanders.
Malgré la crise cardiaque qu’il a subi cet automne, le sénateur discourt avec fougue et se targue d’avoir suscité la plus large mobilisation de l’histoire des caucus de l’Iowa. « Nos volontaires ont frappé à 500 mille portes au cours du dernier mois ! Nous allons gagner car notre mouvement est le plus grand ! » Les applaudissements déjà nourris redoublent d’intensité lorsqu’il annonce que son premier décret présidentiel sera pour légaliser la marijuana. Bernie Sanders, en tête des sondages, flatte et galvanise la jeunesse, mais rien n’est gagné : de nombreux électeurs sont encore indécis et les enquêtes peu fiables.
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Elizabeth Warren met les bouchées doubles
Dans un gymnase de Cedar Rapids, Elizabeth Warren mobilise ses troupes. Comme Bernie Sanders et Amy Klobuchar, la sénatrice a été
retenue à Washington par le procès de Donald Trump, et met les bouchées doubles pour rattraper le temps perdu pour la campagne. « Il est temps de créer un impôt sur la fortune en Amérique. Les familles auront droit à une couverture santé universelle pour leurs enfants. On pourra investir dans les écoles publiques ! », s’exclame la candidate. Aux premiers rangs, ses partisans agitent des pancartes à son nom et applaudissent.
Mais à l’arrière, de nombreuses personnes attentives gardent les bras croisés ou les mains dans les poches. « Nous sommes indécis pour le moment, nous sommes venus entendre ce qu’elle a à dire et la voir en personne », nous confie Bob, un habitant de la ville qui écume les meetings avec son épouse Polly. «J’aime Elizabeth Warren et Pete Buttigieg. Bernie Sanders et Joe Biden sont trop vieux » assène-t-elle. Sur scène, Elizabeth Warren répond aux questions de l’assemblée et lance avec régularité son désormais fameux « J’ai un plan pour cela ! ». La sénatrice ne participera pas cette fois à la traditionnelle séance de selfies qu’elle a instauré dès le début de sa campagne, elle doit filer à un autre rassemblement électoral. Mais son chien Bailey posera gracieusement à sa place aux côtés de ses admirateurs. « Le badge avec Bailey est celui qui part le plus vite » assure un vendeur d’objets promotionnels qui suit la campagne d’Elizabeth Warren.
Joe Biden, le poids de l’expérience
L’ancien vice-président tient lui aussi un meeting dans un gymnase, mais de taille plus modeste, à quelques kilomètres de là. Debout au milieu de quelques centaines de partisans, il attaque avec virulence l’occupant de la Maison Blanche. « Quand je regarde Donald Trump, ce qu’il défend, la manière dont il se comporte, la façon dont il parle, ce qu’il a fait, ma réponse est toujours la même : nous valons mieux que cela. Ce n’est pas ce que nous sommes ! », lance Joe Biden.
Il fait valoir son expérience, rappelle sa proximité avec Barack Obama, se pose en rassembleur, et se dit désireux de « panser les plaies d’un pays déchiré par ses divisions. » John Kerry, ancien secrétaire d’Etat de Barack Obama est venu lui prêter main forte, et s’adresse à son tour à l’assistance, dont la moyenne d’âge est assez élevée. « Même s’il fait froid, vous devez vous déplacer pour participer au caucus. Nous pouvons vous aider pour le transport » annonce un volontaire à une dame qui quitte la salle à petits pas. Rodger Sanders, un retraité de Cedar Rapids, sort convaincu par la prestation de son candidat. « J’ai choisi Joe pour son expérience. Il ne gagnera pas forcément au premier tour ici en Iowa, mais j’ai confiance, il va réussir et redonner à la maison blanche le sérieux et le respect qu’elle mérite ».
Pete Buttigieg, l’étoile montante du parti
Le maire de South Bend, Pete Buttigieg joue lui sur la nouveauté dans la salle des fêtes de Waterloo, et, du haut de ses 38 ans, égratigne pour la première fois, ses concurrents Bernie Sanders, Joe Biden et Elizabeth Warren, tous septuagénaires. « Chaque fois qu’un candidat de notre parti l’a emporté, il était nouveau venu sur la scène nationale. Il faut quelqu’un de jeune, ce n’est pas avec un manuel ancien que l’on peut ouvrir les portes de l’avenir », lance-t-il. Karen a assisté à trois meetings de Pete Buttigieg dans l’Iowa, et elle y croit : « Tout le monde a une chance, c’est ce que l’Iowa a prouvé par le passé. Ici nous avons porté au pouvoir des candidats auxquels personne ne croyait. Pete peut l’emporter. »
En 1976, l’Iowa a étonné l’Amérique en choisissant Jimmy Carter pour porter les couleurs du parti démocrate. Trente ans plus tard, l’Etat a sorti de son chapeau un autre candidat que personne n’avait vu venir, Barack Obama.
Debout sur le parking de la salle des fêtes, une femme compulse son téléphone portable, compare les distances et les horaires des prochains meetings. Ann Fissenheim, qui vit dans l’Etat de Washington sur la côte Ouest, veut voir toutes les têtes d’affiche, un vrai marathon électoral. « Je suis venue rencontrer les candidats en personne, je ne veux pas reposer seulement sur ce qu’on voit à la télé. Je souhaite les voir en chair et en os avant de me décider, et ils ne viendront pas chez moi. L’Iowa, c’est là il faut être », déclare-t-elle. A ses côtés, Laury Baker, résidente de Cedar Rapids, sourit. Elle savoure l’effet des projecteurs que tout le pays braque sur son Etat habituellement négligé.
Mais mardi soir, les énormes cars de campagnes aux couleurs des candidats cesseront de circuler sur les routes qui filent droit au milieu des champs enneigés. Desmoines, la capitale, retrouvera sa quiétude habituelle. Et l’Iowa retournera à ses cultures de maïs, à son statut d’Etat délaissé, après avoir donné son coup de pouce olympique à l’un des candidats qui affrontera Donald Trump en novembre prochain.
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