Ce dimanche matin, pour la première de Rafiki, « ami » en Swahili, la salle du Prestige Plaza est bondée. Les 230 spectateurs, euphoriques, applaudissent l’écran-titre et hésitent entre rires et huées devant le logo de la censure, qui précise que le film est réservé aux « plus de 18 ans ». Le succès est tel que Celcius Aloo, le manager, a dû organiser une autre projection.
Avant la séance, Solomon Ombua, activiste LGBT, ne cache pas sa joie. « C'est surréaliste. Même si l'autorisation ne dure qu'une semaine, ça vaut le coup de célébrer chaque jour » s’enthousiasme-t-il. Ce film « représente un tournant » et une « victoire […] très importante » pour les minorités sexuelles au Kenya.
Il faut dire que les Kényans ont dû patienter pour voir enfin cette œuvre, dans un cinéma proche du centre de Nairobi. Elle a été interdite de longs mois, parce qu’elle traite d’un amour lesbien, dans un pays où l’homosexualité est illégale – héritage de lois datant du colonialisme anglais. « Son thème homosexuel et son but évident de promouvoir le lesbianisme au Kenya […] heurtent la culture et les valeurs morales du peuple kényan » avait tranché le Kenya film classification board, chargé de l'autorisation des films.
Une censure « assez injuste », juge Celcius Aloo, qui rappelle que « des films comme 50 nuances de Grey, des films étrangers ont été autorisés » et dénonce un « deux poids deux mesures ». Ouvertement lesbienne, une jeune femme surnommée Crazy enfonce le clou : « Le KFCB est trop conservateur, biaisé et hypocrite. On a accès à tellement d’images choquantes, mais là, sous prétexte que ça touche un sujet sensible, l’institution pense qu’elle peut dépasser les limites ».
Un film qui « sensibilise » le public
Soucieuse de liberté d’expression, mais aussi de pouvoir viser une nomination aux Oscars – qui exigent sept jours de diffusion consécutifs dans un cinéma, ainsi qu’une sortie dans le pays d’origine pour qu’une œuvre soit éligible – la réalisatrice Wanuri Kahiu a contesté cette interdiction en justice. Elle a obtenu gain de cause vendredi, lorsque la justice de Nairobi a ordonné sept jours de suspension de la censure.
« Ce film ne fait pas la promotion de l'homosexualité. Il sensibilise les gens, montre qu'il y a des homosexuels et d'autres minorités sexuelles qui vivent ici au Kenya », affirme à présent Solomon Ombua. « Et aujourd'hui ça reste difficile pour ces gens, ils ne peuvent pas s'exprimer librement, vivre naturellement. Ils doivent rester dans l'ombre, cacher leur homosexualité à leurs familles. »
- (Re)lisez notre entretien avec Wanuri Kahiu