Sierra Leone: l'influence chinoise est un enjeu majeur du scrutin présidentiel

Ce samedi 31 mars, les Sierra-Léonais sont appelés aux urnes pour le second tour de l’élection présidentielle qui permettra de départager les deux finalistes du premier tour. Julius Maada Bio du Parti du peuple de Sierra Leone, principal parti de l’opposition et Samura Kamara, candidat du parti au pouvoir, Parti de tout le peuple,  et héritier du président sortant, sont des vétérans de la vie politique sierra-léonaise. Tout oppose les deux, en particulier, leurs positionnements par rapport au rôle grandissant de la Chine dans l’évolution et le développement de leur pays. Un rôle qui a fait débat pendant la campagne électorale.

Le rôle majeur que jouent les Chinois dans la vie économique de la Sierra Leone, mais aussi … dans sa vie politique, est l’un des principaux enjeux de l’élection présidentielle en cours dans ce petit pays ouest-africain. La Chine soutient ostensiblement le parti au pouvoir et le président sortant Ernest Bai Koroma qui ne peut plus se représenter après avoir exercé deux mandats. Ses dix ans au pouvoir ont vu les investissements chinois augmenter substantiellement dans le pays avec des entreprises de l’empire du Milieu choisies pour construire la quasi-totalité des infrastructures de ce pays.

Financées par Pékin, les entreprises chinoises sont engagées à construire routes, autoroutes, chemins de fer, aéroports, centrales électriques, barrages, réseaux d’eaux et de télécommunications… La Chine est omniprésente dans une Sierra Leone en plein processus de reconstruction après les drames à répétition qu’elle a connus au cours des dernières décennies (guerre civile, épidémie d’Ebola, chute des cours mondiaux des matières premières…)

L’omniprésence chinoise a fait débat pendant la campagne électorale, avec les candidats haranguant la foule sur la nécessité de réexaminer la place grandissante de la Chine dans l’économie sierra-léonaise. Julius Maada Bio, candidat de l’opposition à la présidence, a qualifié les projets chinois de « supercheries  », «  n’apportant aucun bénéfice à l’économie du pays ou à ses habitants ».

« C’est plutôt ironique de voir que la Grande-Bretagne qui par son action militaire décisive avait su accélérer la fin de la guerre civile en Sierra Leone dans les années 1990 et qui a ensuite participé au développement de ce pays en annulant sa dette, ne fasse pas partie des quatre premiers investisseurs étrangers », regrette pour sa part Alex Vines(1) du think-tank londonien Chatham House. Le quatuor de tête des acteurs économiques étrangers à Freetown est composé de la Chine, suivie de la Belgique, l’Allemagne et les Etats-Unis.

L’ombre de la Chine

Menacée de voir sa prépondérance mise en cause si l’opposition remporte le deuxième tour, la Chine est suspectée de tirer les ficelles pour que Samuel Kamara, homme lige du président Koroma et candidat du Congrès de tout le peuple (APC, parti au pouvoir), soit élu à la présidence sierra-léonaise. Apparemment en vain, puisque, selon les résultats du premier tour de la présidentielle qui s’est tenu le 07 mars, c’est le candidat du parti du Peuple de Sierra Leone (SLPP), principal parti d’opposition, qui se retrouve en ballottage favorable avec une courte avance sur son rival de l’APC.

Il y a donc de fortes chances que ce samedi ce soit l’opposition qui remporte la présidentielle, même si les résultats du premier tour ont été contestés devant les tribunaux suite à des allégations de fraude, entraînant la suspension des préparatifs du deuxième tour. La justice sierra-léonaise a finalement rejeté le recours demandant le report du deuxième tour de la présidentielle. Il se tiendra samedi 31 mars, avec quatre jours de retard sur le calendrier initial..

« L’ambassade de la République populaire chinoise n’est peut-être étrangère à cette procédure lancée par un juriste proche du parti au pouvoir pour retarder la tenue du deuxième tour », confie Solomon Sogbandi de l’Amnesty International, qui s’inquiète de la dégradation de la situation des libertés et de l’Etat de droit dans le pays. Le représentant de l’organisation pour la défense des droits de l’homme dans le monde pointe du doigt les velléités autoritaires du régime, avec le président sortant imposant à son parti son candidat à la présidence plutôt que de demander à la base de choisir.

Il se trouve que le candidat de l'APC, Samura Kamara, ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement sortant, est un défenseur virulent de la politique du président privilégiant la coopération avec la Chine. Récemment encore, participant à une cérémonie à l’ambassade de la Chine à Freetown, celui-ci rappelait que la coopération avec la Chine a permis aux pays pauvres d’Afrique de faire repartir leur économie. Il a qualifié Pékin d’«  ami des bons comme des mauvais jours  » de la Sierra Leone.

Les années fastes

Le rapprochement entre les deux pays date de 1971 lorsque Pékin de Mao et Freetown sous l’égide de son président de l’époque, Siaka Stevens, ont instauré leurs relations diplomatiques. En octobre de la même année, la Sierra Leone a fait partie des pays qui ont voté à l’Assemblée plénière des Nations unies la résolution reconnaissant la République populaire comme le seul représentant de la Chine.

Il semblerait que le courant passait bien entre le Sierra-Léonais Siaka Stevens et ses homologues chinois, favorisant des liens étroits entre leurs deux pays. La démission du président Stevens en 1985 et l’arrivée au pouvoir de l’opposition ont refroidi les relations, pour longtemps. Il va falloir attendre ensuite le retour au pouvoir de l’APC en 2007, avec l’élection d’Ernest Bai Koroma à la présidence, pour voir les relations bilatérales prospérer de nouveau.

Elles sont fondées sur la proximité qui perdure depuis 50 ans entre l’APC et le Parti communiste chinois (PCC). L’immeuble de sept étages, flambant neuf, qui accueille depuis l’été dernier le quartier général de l’APC à Freetown et qui est un cadeau du PPC, est la preuve de ces liens forts. Les années Koroma qui s’inscrivent dans cette tradition seront des années fastes pour la coopération économique entre la Chine et son allié ouest-africain.

Outre les contrats attribués aux entreprises chinoises pour la construction des infrastructures, totalisant des investissements à hauteur de 8 milliards de dollars, les deux mandats du président Koroma ont également vu la Chine s’imposer en tant qu’acteur incontournable dans le secteur des matières premières, notamment de minerai de fer, avec la reprise de l’opérateur minier britannique African Minerals en 2015 par la Chinoise Shandong Industries, l’un des principaux extracteurs de minerai de fer dans le monde. Présent aussi dans le secteur de l’exploitation forestière et la pêche maritime, le géant asiatique est devenu en l’espace de quelques années le tout premier importateur du poisson et du bois de construction de la Sierra Leone.

Ces relations étroites ne manqueront pas de susciter des critiques. La presse locale parle d’un pays « inféodé », incapable de refuser quoi que ce soit à son allié asiatique. Bientôt la Banque mondiale et le FMI joindront leurs voix au chœur des critiques pour dénoncer la construction d’infrastructures coûteuses notamment le projet d’une autoroute à péage et celui d’un second aéroport, mettant en garde le gouvernement sierra-léonais contre le piège de la dette susceptible de compromettre son indépendance politique et économique.

« Surréaliste ! »

Les critiques redoublent de virulence lorsqu’à l’approche de l’élection de cette année les Sierra-Léonais voient à la télévision les travailleurs chinois participer à la campagne du parti au pouvoir, vêtus de tee-shirts de l’APC. Plus incroyable encore, les meetings de Samura Kamara, candidat de l’APC, sont ponctués de slogans clamés à tue-tête : « Nous sommes tous Chinois ».

« C’était surréaliste ! Je dois vous avouer que je suis resté sans voix quand j’ai vu les images. Je n’ai toujours pas compris le sens de ce « coming out » politique de la part des Chinois », confie Alex Vines. « C’est d’autant moins compréhensible que la Sierra Leone n’est ni le Soudan ni l’Angola, où la Chine a des enjeux stratégiques majeurs », poursuit le chercheur.

Quelle peut être alors la conséquence sur le scrutin présidentiel de ce dévoilement involontaire de la réalité de l’influence politique chinoise ?

« Sans doute aucune, répond le chercheur de Chatham House, puisque cela n’a pas empêché le parti au pouvoir de remporter haut la main les législatives qui se sont déroulées en même temps que le premier tour de l’élection présidentielle. Et si d’aventure le candidat de l’opposition devait remporter le scrutin du 31 mars, cela ne changera rien, à mon avis, à l’ampleur de la coopération entre la Chine et la Sierra Leone.»

Et d'ajouter: « Business is business ! »


(1) Dr. Alex Vines est le directeur du programme africain du think-tank Chatham House, basé à Londres.

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