Dans trois des villes où la répression des marches des laïcs chrétiens a été la plus violente depuis janvier 2018, les douilles que l'on retrouve autour ou dans les églises sont des munitions de fabrication chinoises 7,62 x 39 mm pour Kalachnikov.
A Mbandaka - où un manifestant, Eric Bokolo, a été tué le 25 février 2018 - les douilles portaient une numérotation bien connue au Congo : 61/98. « 98 » pour l’année de fabrication et « 61 » donne une idée de l'usine de fabrication. En l'occurrence, il s'agit de China North Industries Corporation (Norinco).
Si ce stock de munitions de Kalachnikov est bien connu des experts en armements, c'est qu'on le retrouve chez les principaux groupes armés de l'Est depuis 2013. Sans surprise le M23, qui était composé pour l'essentiel d'officiers ayant fait défection de l'armée congolaise, mais aussi chez les FDLR, les rebelles hutus rwandais, les Nyatura, l'APCLS.
Mais si l'on regarde à Kinshasa, près de la paroisse Saint-François de Sales où la jeune Thérèse Kapangala a été tuée le 21 janvier 2018, on retrouve là aussi des munitions chinoises bien connues, 911/77, présentes chez une bonne dizaine de groupes armés, du M23 aux ADF en passant par les FDLR et même des milices qui ont tué à Mutarule en juillet 2014.
A Kisangani où il n'y a pas eu de morts mais des blessés, les mêmes types de munitions ont été retrouvées, de fabrication chinoise, mais plus récentes. Certaines datent de 2007, 821/07. Et là encore, ce sont des munitions que l'ONU et d'autres ont retrouvées ces dernières années chez les M23, les ADF, les FDLR et ces mêmes milices auteurs du massacre de Mutarule au Sud-Kivu.
Des stocks de l’Etat aux réserves des groupes armés
Comment expliquer que l'on retrouve ces munitions chez les forces de sécurité à l'ouest et dans les groupes armés qui sévissent dans les Kivus ? Depuis la fin de la deuxième guerre du Congo, il y a un embargo sur les armes à destination de la RDC qui, depuis 2008, ne concerne que les groupes armés. Le gouvernement congolais peut acheter ce qu'il veut, mais le matériel doit être notifié par les Etats concernés au Conseil de sécurité. Pour vérifier le respect de cet embargo, il y a deux structures onusiennes, la Monusco et surtout le groupe d'experts de l'ONU sur la RDC.
Claudio Gramizzi était l'un des experts sur les armes de ce groupe. Il travaille aujourd'hui pour Conflict armement research, une ONG spécialisée dans la traçabilité des armes : « Il y a eu énormément d’épisodes d’écoulement et d’évaporation des stocks de l’Etat vers des groupes armés, au sens où, finalement, elles ont pu récupérer de l’armement auprès de l’Etat congolais de manière directe ou indirecte, avec des degrés de participation et d’implication plus ou moins avérées, plus ou moins immédiates et plus ou moins volontaires de la part des autorités. Mais c’est certain que lors des premières années de la décennie 2000-2010, il y a eu énormément de tonnes de matériels qui sont passées du contrôle de l’Etat congolais directement aux réserves, je dirais, des groupes. »
Des minutions rarement notifiées
Concernant les balles en caoutchouc, officiellement non létales, qui auraient servi à tuer, selon la police congolaise, l'activiste Rossy Tshimanga le 25 février 2018, elles ont bien été notifiées. En 2017, un million de ces balles ont été livrées par la société serbe Mile Dragic. RFI n’a pas pu joindre cette société pour savoir si elle avait donné des précisions sur l'utilisation de ces balles aux forces de sécurité congolaise.
Quand des jeunes ont été enfermés le 21 janvier dernier dans une église et que des grenades ont été jetées, c'était des grenades de fabrication suisse, marquées avec le code de l'entreprise bien connue dans le maintien de l'ordre Brügger & Thomet. La Suisse dit n'avoir fait aucune notification au Conseil de sécurité depuis plus de 20 ans et ne pas avoir connaissance de cette livraison d'armes. Même chose pour la société elle-même, qui dit avoir une cinquantaine de revendeurs à travers le monde mais aucun contrat en Afrique.
La société brésilienne Condor, qui a livré elle aussi le même type de grenades dites non létales, n'a pas non plus fait de notification. Si l'on en croit les informations confidentielles transmises au Conseil de sécurité, le gouvernement de la RDC n'a reçu sur les deux dernières années aucune des armes et munitions qui tuent au Congo, mais quasi exclusivement des armes non létales
Deux exceptions : la Biélorussie qui a notifié avoir livré quatre avions Soukhoï d'occasion en septembre 2016 et l'Ukraine a notifié en mars 2016 une nouvelle livraison de chars, T64, à la RDC, arrivés en avril de la même année, selon un témoin, plusieurs jours après que ces chars ont été photographiés sous tous les angles et embarqués sur le fleuve Congo à Kinshasa. Bien que la Russie, la Corée du Nord ou même le Burundi aient été souvent épinglés pour un défaut de notification, cette entorse à l'embargo reste généralement sans conséquence.