Pour Linus Kaikai, cette coupure des médias est une décision sans précédent. Selon le manager général de NTV, les journalistes n’ont rien à se reprocher. « Couvrir la prestation de serment est une décision éditoriale qui ne regarde pas le gouvernement », a-t-il souligné. Cet acte, poursuit-il, rappelle le temps de la dictature. « Ca ne correspond pas à notre époque. Durant les heures sombres, il y avait même des lois justifiant le viol de la liberté de la presse ou criminalisant l'imagination. Là on voit un pouvoir qui agit totalement en-dehors des textes. Nous avons une Constitution, des codes, des institutions. Elles ne comptent pas en ce moment. Quand ça va dans son sens, le gouvernement appelle au respect de la loi. »
Linus Kaikai et deux confrères ont même dû passer une nuit au bureau par crainte d'arrestation et ont dû aller en justice pour qu'un magistrat ordonne qu'on les laisse tranquilles.
Outre l'atteinte aux libertés, la coupure touche les médias au portefeuille. « Ça a entraîné de grandes pertes notamment en termes de recettes publicitaires car nous sommes une chaîne privée. On ne tourne plus de pubs, on en diffuse plus. Ça représente beaucoup d'argent. En moyenne 50 à 100 000 dollars par jour », Tom Mshindi, rédacteur en chef à NTV.
Les juges ont ordonné de laisser les médias émettre
Officiellement, le ministre de l’Intérieur a déclaré que ces médias resteraient coupés, le temps des investigations. Selon Fred Matiangi, certains journalistes seraient « complices de la Nasa » dans l’organisation d’une cérémonie jugée illégale. De plus, la diffusion, en direct, de la prestation de serment aurait entraîné « un massacre aux proportions catastrophiques », a-t-il ajouté.
Selon plusieurs sources, la prestation de serment de Raïla Odinga a ulcéré le pouvoir. Coupure des médias, plusieurs opposants arrêtés et hier encore, dispersion au gaz lacrymogène d'une marche pacifique à Nairobi. Autant de signes inquiétants pour les défenseurs des droits de l'homme.
Les autorités kényanes ont suscité un tollé au sein de la société civile, entraînant les protestations des chancelleries occidentales. Avocats et activistes des droits de l’homme ont porté l’affaire en justice. Les juges ont même ordonné, par deux fois, qu’on laisse les médias émettre. Il a fallu plusieurs jours au gouvernement pour commencer à se plier à l’injonction des magistrats.