La Bourse du Talent a dédié cette année un prix exceptionnel de la photographie à Camille Lepage. Est-ce que c’est un prix qui vient trop tard ?
Je suis le travail de Camille depuis plusieurs années. J’ai vu grandir son regard. Au début de l’année, elle est venue présenter son travail à la Bourse du Talent. Nous l’avons évidemment sélectionné pour le présenter au jury. C’est à ce moment-là que nous avons appris sa disparition. Elle a un talent immense – je préfère de parler de Camille au présent. Son travail, trop bref, est exceptionnel. Ce prix, cet hommage, vient trop tard maintenant, mais le travail est là. Il existe. Et nous le montrons à un public très large. C’est important qu’il soit vu.
Vous exposez plusieurs photos de sa série On est ensemble, réalisée en Centrafrique. Le travail de Camille Lepage est-il devenu emblématique pour le photojournalisme ?
Le travail de Camille est emblématique de cette situation du photojournalisme aujourd’hui. La situation a énormément changé. On a perdu la presse papier. Elle a disparu. Les dégâts collatéraux, ce sont les photographes qui ne sont plus publiés. Et pourtant, il y a une urgence à montrer les choses. Camille a choisi de les montrer, au péril de sa vie. Les photographes sont plus près des drames, davantage encore que d’autres médias. Les photographes sont fragiles, ils sont solitaires. Il y a quelques années, ils étaient mieux accompagnés. Ils ne le sont plus aujourd’hui. Et pourtant, ils poursuivent leur mission, leur combat, leur envie, leur engagement. Ce sont des personnes qui sont engagées pour raconter des histoires qui sont les nôtres. Camille, et tous les photoreporters à travers elle, oui, il faut que le public les perçoive, les soutienne et regarde leur travail. C’est très important.
Camille Lepage a souvent parlé de son engagement, sa passion « pour les causes oubliées, pour ces gens qui souffrent en silence et auxquels personne ne prête attention ». Est-ce qu’elle a réussi avec son travail ? Peut-on réussir en tant que photojournaliste dans des zones de guerre ?
Un photographe est naturellement engagé : artistiquement, au niveau documentaire, au niveau journalistique. Il y a toujours un engagement. Celui de Camille va très loin, très près du danger. Elle raconte ce qu’elle voit. Le talent de Camille est de savoir raconter, peut-être aussi sa proximité et son amour des gens. Elle les aime. Et elle le traduit dans sa brutalité, mais elle nous ramène toujours à la vie. C’est de la vie dont elle nous parle.
Depuis sa mort, est-ce que le photojournalisme a changé ? Les agences de photo, travaillent-elles autrement aujourd’hui avec les photojournalistes ?
Depuis la disparition de Camille, rien n’a changé. Au contraire. Les agences, pour le peu qui en reste, tombent une après l’autre. Elles disparaissent. Il y a un vrai danger. Est-ce qu’on se dirigerait vers un monde qu’on ne regarde plus ? Je ne sais pas exactement ce qu’il faut faire, néanmoins, j’ai peur que la disparition des photojournalistes, les dangers qu’ils courent, le manque d’accompagnement, même l’ignorance de leur métier, nous amènent à une censure qui ne porterait pas son nom.