Ce 1er novembre 1954 restera dans la mémoire des Français sous le nom de « Toussaint rouge ». Pour les Algériens, c’est le jour du déclenchement de la guerre de Libération nationale. Avec la « Proclamation au peuple algérien, aux militants de la cause nationale », le Front de libération nationale tout juste constitué apparaît aux yeux de tous. Sous la forme d’un tract ronéoté clandestinement dans le village d’Ighil Imoula, en Kabylie, c’est une déclaration de guerre.
Non-dit et déni
Daté du 1er novembre 1954, le texte exige « la restauration de l'État algérien, souverain, démocratique et social, dans le cadre des principes de l'islam ». La France qui n’a rien vu venir se cabre. « L’Algérie, c’est la France ! », martèle le ministre de l’Intérieur de l’époque, François Mitterrand qui choisit sans l’ombre d’une hésitation de réprimer. « La seule négociation, c’est la guerre », dira-t-il encore. Pourtant, à l’époque et pour longtemps, le terme « guerre » n’est pas utilisé officiellement, on parle des « événements d’Algérie ». Il faudra attendre le 18 octobre 1999 pour voir la reconnaissance officielle de la guerre d’Algérie par l’Assemblée nationale française.
Soixante ans après le déclenchement de la Guerre d’indépendance algérienne, si l’apaisement n’est pas total entre les deux ex-belligérants, des petits pas ont été accomplis pour s’en rapprocher. Aussi difficile pour l’un que pour l’autre, le recours à la mémoire est chaotique tant les deux histoires se sont construites sur le non-dit, quand ce n’est pas sur le déni.
Mais le temps fait son œuvre, le renouvellement des générations et l’avènement d’historiens nés après le conflit, permet d’entrevoir les vérités. Pour les Français, un sondage de l’IFOP pour Le Monde réalisé fin octobre 2014 montre le chemin parcouru. Ainsi, 68% des personnes interrogées pensent que l’indépendance de l’Algérie a été une bonne chose pour la France et 65% pour l’Algérie. Selon cette enquête, l’arrivée des pieds-noirs en France est considérée comme le fait le plus marquant de la guerre pour 59% des sondés, devant la libération d’un peuple colonisé (54%).
Sortir du manichéisme intégral
Un précédent sondage réalisé en 2010 par l’Institut CSA montrait que beaucoup reste à faire pour accomplir le travail de mémoire. Pour 66% des Français interrogés, « tout n’a pas été dit sur la guerre d’Algérie », une assertion à laquelle souscrivent encore davantage les jeunes : les 18-24 ans sont en effet 76% à le penser. Quant à la repentance, on retrouve le clivage de l’âge : chez les personnes nées avant le début du conflit, plus de 60% refusent l’idée de demander pardon à l’Algérie pour les 132 ans de colonisation. C’est exactement la même proportion des 18-24 ans qui pensent le contraire.
Ce changement de vision s’opère également chez les Algériens si on en croit une enquête menée par le quotidien francophone El Watan en 2012. Ils sont effectivement un peu plus de la moitié (51%) à estimer qu’il est possible pour l’Algérie d’avoir des relations « normales, dépassionnées, apaisées » avec la France. Une évolution qui doit beaucoup au travail d’analyse qui traverse l’Algérie depuis quelques années.
Après la « décennie noire » de la guerre civile, le pays sort enfin du manichéisme intégral. La presse et les historiens abordent des sujets restés longtemps tabous : les luttes fratricides au sein du FLN, le massacre de Melouza, l’assassinat d’Abane Ramdane… Les acteurs de la Guerre d’indépendance qui se sont tus jusque-là, atteignent la vieillesse et avec elle le désir de dire « leur » vérité qui n’est pas toujours la même que ceux qui se sont installés au pouvoir en 1962.
En France aussi, les langues se délient, des anciens libèrent leur conscience, des archives s’ouvrent. Les amnésies organisées cèdent peu à peu. Mais tout ce matériel, aussi riche soit-il, ne suffira pas à refermer les plaies si les politiques des deux côtés de la Méditerranée ne décident pas, par des paroles et des gestes courageux, d’affirmer leur détermination à œuvrer à un vrai rapprochement.