Le Premier ministre algérien par intérim, Youcef Yousfi, est arrivé dans la nuit à Ghardaïa. Il y est, accompagné du ministre de l'Intérieur, du commandant de la gendarmerie nationale et d'un représentant de la Sûreté nationale. Ce matin, il a reçu une délégation de la communauté arabe, qui était en sit-in devant le gouvernorat pour protester contre la mort, hier, de trois de ses proches. Le chef du gouvernement a promis qu'une enquête judiciaire serait ouverte. Ce dimanche à la mi-journée, les officiels venus d'Alger participent à une réunion sécuritaire à huis clos avec les autorités locales. Et cet après-midi, le Premier ministre recevra la société civile avant de rentrer dans la capitale.
Ce matin, Ghardaïa reste toujours une ville morte, comme hier. Les magasins sont fermés, l'école n'a pas repris ce dimanche. Les gens restent terrés chez eux. Des renforts de gendarmerie et de forces anti-émeute sont arrivés et quadrillent la ville.
Hier, en effet, les violences ont explosé, avec, selon des témoignages, des jets de pierre, des combats au corps-à-corps, et des attaques à l'acide. Le bilan matériel est lourd aussi : des dizaines de maisons détruites, et plusieurs magasins incendiés. Des hommes cagoulés auraient attaqué, samedi, les deux communautés et s'en sont pris au siège local du journal El Khabar.
Violences cycliques
Depuis un an, la région du Mzab connaît une nouvelle poussée de violences. En début d'année, quatre personnes ont déjà été tuées, et 200 blessées. Les raisons précises de ces tensions sont difficiles à cerner. Mais ce qui est sûr, c'est qu'il y a un sentiment d'injustice qui touche toute la population. Comme ailleurs en Algérie et encore plus dans cette région du Sud, la pression démographique est toujours plus forte, et ne fait qu'augmenter les problèmes de logement et de chômage.
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La question foncière divise aussi les deux communautés mozabite et arabe, qui cohabitent pourtant depuis des siècles. Certains médias, certaines mosquées salafistes ont aussi joué la division ces derniers mois. Et les communautés elles-mêmes cultivent ces différences dès le plus jeune âge, disent certains habitants.
Il suffit ensuite d'une étincelle, d'un incident isolé, pour que toute une communauté se sente visée et réplique. Le moindre acte devient source d'incompréhension et de dérapage. Certains à Ghardaïa dénoncent aussi l'attitude des forces de police. Des policiers ont été accusés d'avoir participé aux violences de janvier et février, ils ont même été jugés pour ça. Des observateurs vont jusqu'à dire que ce sont les services de renseignement qui tirent les ficelles. Quelqu'un a-t-il vraiment intérêt à déstabiliser cette région ? C'est une des grandes questions qui se posent, à quelques semaines de l'élection présidentielle d'avril prochain. Il y a en tout cas clairement une dégradation du climat sécuritaire à Ghardaïa et dans les localités avoisinantes.
« Centre opérationnel »
Lors de son déplacement à Ghardaïa le 6 février passé, en compagnie du patron de la gendarmerie nationale, Ahmed Bousteila, et du directeur général de la Sûreté nationale (DGSN), Abdelghani Hamel, Belaïz avait affirmé la « détermination de l’Etat à appliquer les lois de la République dans toute leur rigueur contre quiconque portera atteinte à la sécurité de l’individu et de ses biens ». Il avait alors annoncé la mise en place d’un « centre opérationnel » de sécurité, cogéré par la Gendarmerie et la Sûreté nationales, dans le but de « rétablir l’ordre et mettre fin aux échauffourées ».
Le ministre de l’Intérieur, qui avait agi avec beaucoup de retard, avait également assuré qu’il renforcerait le dispositif de sécurité dans la région, quitte à le « multiplier par trois, voire par quatre, pour restaurer définitivement l’ordre et le calme ». « Les rues, les quartiers, les communes de la wilaya [l’équivalent de la préfecture] de Ghardaïa seront sécurisés », avait-il encore affirmé.
Propagation des violences
Or, des habitants, mozabites, qui avaient dû quitter leurs maisons en janvier ont décidé de rentrer chez eux pour faire un état des lieux. Ils ont demandé l'aide des autorités locales pour assurer leur protection afin de pouvoir retourner chez eux, mais n'auraient eu aucune réponse.
Mercredi soir, un groupe a attaqué des magasins du centre-ville de Ghardaïa. Les réactions ensuite ont dépassé les murs de la ville. A Beni Isguen, une ville voisine, il y a eu aussi des violences tout comme à Metlili, à 40 km au sud de la Ghardaïa.