B pour bilan. Le fondateur de Confluences Alain Gordon-Gentil ayant passé la main, c’est son numéro deux Géraldine Hennequin-Joulia qui assure désormais la direction de ce Salon unique dans l’océan Indien consacré aux livres. C’est elle qui a organisé la deuxième édition de cette manifestation qui s’est tenue à Port-Louis du 06 au 09 mars, au Centre de Conférences Internationales Swami Vivekananda, situé au pied des collines verdoyantes du lieu-dit de « Pailles ».
Le bilan de l’édition 2014 est plutôt positif puisque la fréquentation a enregistré une nette hausse cette année avec 40% de visiteurs de plus par rapport à l’année dernière. Selon les chiffres fournis par les organisateurs, le nombre de visiteurs a frôlé cette année la barre de 30 000, y compris les scolaires. Dès le premier jour du Salon, il a été pris
d’assaut par les écoliers venus des quatre coins de l’île. Ils ont participé à de divers ateliers jeunesse qui avaient été prévus pour eux. Tout au long des quatre jours, des ateliers jeunesse ont été organisés pour initier les visiteurs en culottes courtes aux différents aspects du métier du livre (écriture, illustration, fabrication). Autre signe du succès, les libraires qui sont partenaires du Salon ont été véritablement dévalisés et ont fait en quatre jours leur chiffre d’affaires d’un mois en temps normal.
Pour la nouvelle directrice de Confluences, ce sont les scolaires qui ont fait le succès de cette deuxième édition. « Avec leur approche ludique du livre, ils annoncent le Maurice de demain, a-t-elle déclaré. Le livre n’est plus pour ces jeunes seulement un outil d’apprentissage, mais il est devenu aussi un moyen d’évasion et de divertissement. »
I pour interrogations : Malgré son succès éclatant tant en termes de fréquentation qu’en termes d’opportunités de rencontres que proposent Confluences, cette manifestation n'a pas manqué de susciter interrogations et débats dans la presse et parmi les écrivains mauriciens. Avec l’accent mis sur la production en français, les auteurs publiant dans les autres langues de l’île (hindi, créole, tamoul) se sentent un peu délaissés. Ils l’avaient fait savoir haut et fort au terme de la première édition de Confluences qui s’est tenue en 2013. La cohabitation fraternelle des langues et des communautés étant le ciment qui renforce la cohésion nationale dans ce pays métissé, les organisateurs pouvaient difficilement ne pas tenir compte de l’inquiétude des auteurs non-francophones. Ils ont tenté de répondre aux revendications en inscrivant dans le programme de cette année une rencontre autour de la question des langues à Maurice (« Penser dans une langue, s’exprimer dans une autre, écrire dans une autre encore : l’acrobatie mauricienne »), avec la participation des auteurs en hindi ou en créole mauricien.
Plus grave sans doute, les interrogations de la presse sur la pertinence de faire venir chaque année des têtes d’affiche françaises à grands frais, alors que des fonds manquent dans le pays pour abriter des sans-logis. L’utilisation de fonds publics pour faire venir des personnalités plus « people » que de véritables écrivains comme Patrick Poivre d’Arvor et Luc Ferry en 2013, Ségolène Royal, Mazarine Pingeot cette année, sert-elle la cause de la culture et de la littérature ? La question restea été posée.
T pour temps forts : Le premier temps fort, c’était la rencontre avec les écrivains qui n’étaient pas seulement mauriciens, mais aussi français, britanniques, chinois, indiens, sud-africains, malgaches et autres africains. Rappelons que ce Salon a été créé pour réunir des auteurs venus des trois continents de peuplement de Maurice, soit l’Afrique, l’Asie et l’Europe. Cette année, l’accent a été mis sur la découverte des auteurs et des littératures de la région de l’océan Indien. Avec cette seconde édition, le Salon Confluences s’est imposé comme une plateforme potentielle pour la promotion des productions littéraires et culturelles de la zone toute entière. Avec le lancement prévu en 2015 d’un festival du cinéma, la créativité de l’Afrique et de l’océan Indien trouvera un nouveau support pour se signaler à l’attention du monde.
Plus inattendu, le deuxième temps fort de cette édition a été la rencontre avec le journaliste français Edwy Plenel, l’un des invités d’honneur de la manifestation. La presse mauricienne traverse en ce moment une crise grave avec des tentatives de bâillonnement et d’intimidation de la part du pouvoir. Avant même l’ouverture du Salon, des journalistes
avaient publié une lettre ouverte à Edwy Plenel dans la presse locale, en lui enjoignant de profiter de sa présence à l’île pour rappeler les principes de l’indépendance de la presse dans une démocratie digne de ce nom. Il y avait foule pour écouter Plenel et le patron de Mediapart, auréolé de sa réputation de chevalier blanc du journalisme indépendant, s’est montré à la hauteur des attentes, en prenant publiquement fait et cause pour la liberté de la presse mauricienne. Il a soutenu la demande des journalistes de l’île pour la mise en place d’un Freedom of Information Act (Législation consacrant la liberté d’informer) pour permettre à la presse d’avoir accès à d’importants documents du gouvernement.
N pour nouvelle génération : L’île Maurice surprend par la grande qualité de sa littérature. Ses têtes d’affiche contemporaines ont pour nom Ananda Devi, Barlen Pyamootoo, Nathacha Appanah, Shenaz Patel, Bertrand de Robillard, pour ne citer que les plus connus. Ils écrivent une littérature qui ne se contente pas de raconter les heurs et malheurs des insulaires, mais tente d’inscrire leur mal-vivre dans la parole du monde, faisant résonner leurs voix en dehors des frontières de leurs terres étroites. La magie de l’écriture mauricienne se poursuit avec l’émergence chaque année de nouveaux auteurs.
L’année 2014 n’a pas dérogé à la règle. Les nouvelles voix littéraires de l’année étaient à Confluences. Ils ont pour noms Ashwin Dwarka ou Aqiil Gopee. Le premier a pris d’assaut l’institution littéraire en publiant son premier roman Le Neuvième passage, qualifié par son éditeur de « thriller philosophique ». Avocat de formation, Dwarka est considéré comme le futur Umberto Eco de l’île et son roman a été comparé au Nom de la Rose. Quant au second Aqiil Gopee, il a seize ans et parle avec une maturité étonnante du désir adolescent, de l’amour et d’ « Orgasmes » qui est le titre de son troisième livre, sans genre défini. Ananda Devi qui a préfacé un livre de nouvelles que le jeune homme a publié l’année dernière écrit que les textes d’Aqiil « réussissent à être à la fois noirs et lumineux, à être surprenants, à être dérangeants, à être … d’un noir d’âme ». L’auteur du Sari vert et d’Eve de ses décombres enjoint son jeune compère d’aller « à la recherche du volcan », comme elle l’a fait en son temps, au plus grand bonheur de ses lecteurs à travers le monde.
A pour Afrique du Sud : Dans les années 1990, il était à la mode de se demander si la littérature sud-africaine survivrait à la fin de l’apartheid tant elle avait puisé son inspiration
dans les injustices et les inhumanités de ce système inégalitaire. La vitalité des auteurs dépêchés par le pays de Mandela à la seconde édition de Confluences est la preuve que la littérature sud-africaine a continué de prospérer après l’apartheid. Elle puise aujourd’hui son miel dans les angoisses et les espoirs de la société nouvelle, les divisions de classe qui ont remplacé l’hiérarchie basée sur la couleur de la peau et dans les nouvelles injustices qui ont apparu. Les performances poétiques de Kabomo Vilakazi, la poésie tout en sophistication et en inventivité métaphorique d’une Dowling Finuala et les romans d’Angela Makholwa qui explorent les nouveaux rapports de pouvoir dans l’Afrique du Sud contemporaine, ont illustré pour le public de Confluences les grandes qualités de la génération montante. Si celle-ci ne bénéficie pas encore de la visibilité de la génération des Nadine Gordimer et des André Brink, elle ne manque pas de talents ni de souffle nécessaire pour renouveler les lettres sud-africaines.
P pour Pov : « Ile Maurice, Quel plaisir ! », c’est le titre de l’album qui s’est le plus vendu pendant le Salon. Il y avait foule aux séances de dédicace de son auteur Pov. Caricaturiste attitré au journal mauricien L’Express, Pov, de son vrai nom William
Ranaivoson, a exercé son métier dans son pays natal Madagascar, avant de venir s’installer à Maurice en 2006. Il croque avec délice la classe politique mauricienne dans sa chronique quotidienne. Son nouvel album est un florilège de remarques sur la société mauricienne, sur la cohabitation malaisée entre touristes et autochtones. On ne sait plus qui est dans la cage, qui est de l’autre côté !