Le Maroc suspend sa coopération judiciaire avec la France

Nouvelle étape de la crise entre le Maroc et la France : le royaume a annoncé mercredi 26 février dans la soirée la suspension unilatérale des accords de coopération judiciaires avec la France. Cette décision a été prise après que le directeur du contre-espionnage marocain, Abdelatif Hammouchi, a été convoqué par un juge d'instruction français, lors d'une visite officielle à Paris.Plusieurs plaintes ont en effet été déposées contre lui par des détenus marocains qui affirment avoir été victimes de torture, sous l'autorité de la DST marocaine.

Le Maroc a donc choisi l'escalade : le royaume a décidé mercredi soir de suspendre les conventions de coopération judiciaire avec la France. « Pour en évaluer l’impact et les actualiser dans le but de remédier aux dysfonctionnements qui les entachent », explique le communiqué du ministère de la Justice.

Concrètement, cela signifie que le magistrat marocain accrédité en France pour servir de liaison avec ses homologues est rappelé à Rabat. Et que les nombreux mécanismes d'interaction entre les deux systèmes judiciaires sont stoppés, ce qui risque d'avoir un impact non seulement sur les nombreuses affaires concernant les citoyens franco-marocains, mais également sur l'échange de renseignement.

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Car cette décision spectaculaire est bien entendu une conséquence des déboires du directeur du contre-espionnage marocain. Furieux de voir placer cet homme de l'ombre en pleine lumière, le Maroc décide donc de mettre la France face à ses responsabilités.

Il faut dire qu'Abdelatif Hammouchi est un homme-clé dans la lutte contre le terrorisme islamiste (cf. portrait ci-dessous). Le Maroc ne tolère pas que cet homme sorti du rang et porté aux plus hautes fonctions par le roi Mohammed VI soit à la merci de procédures judiciaires qu'il considère comme étant des machinations de ses adversaires.


«L'homme le plus secret du royaume»

Ces fortes turbulences révèlent qu'on ne touche pas impunément à Abdelatif Hammouchi. Mais qui est cet homme au centre de tensions inédites entre deux pays qui, jusque-là, avaient d'excellentes relations ?

De fines lunettes, un visage calme, costume impeccable : celui qu'un hebdomadaire qualifiait d'«homme le plus secret du royaume» n'est pas un flic de cinéma. Abdelattif Hammouchi, 48 ans, est un homme de dossiers, un analyste hors pair selon ceux qui le connaissent, et surtout un pragmatique doté d'une excellente mémoire.

Entré à la DST au premier échelon à 27 ans, il en est devenu le patron douze ans plus tard, porté par la vague de ce que l'on a appelé ici la « génération M6 », c'est-à-dire les jeunes cadres promus par le jeune roi Mohammed VI. Il a changé l'image de ses services. Dans la mouvance du 20 février 2011, la DST qu'il dirige est la cible de manifestants devant son siège de Temara, au sud de Rabat, à la réputation sulfureuse: il n'hésite pas à ouvrir les portes du centre.

Depuis le début de sa carrière, dans l'ombre, Abdelattif Hammouchi suit de près les réseaux salafistes. Dans le Maroc de l'après 11-Septembre, il était capable, dit on, de citer par leurs noms tous les membres des cellules combattantes, leurs liens entre eux et leurs amis en Algérie ou en Libye. L'arrestation en trois semaines des auteurs des attentats de Casablanca en 2007, sans rafles et sans bavures, c'est lui. Loyal et discret, techniquement irréprochable, le chef du contre-espionnage marocain est donc un homme-clé non seulement pour roi Mohammed VI   mais aussi pour l'Europe.

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