«La diplomatie de l’esprit» de Jack Lang à l’IMA

« L’Institut du monde arabe est le reflet du monde arabe dans sa diversité et ses métamorphoses ». Nommé président de l’institution en 2013, Jack Lang dévoile pour RFI les grandes orientations et défis de l’IMA en 2014. Comment construire le dialogue avec les 22 pays arabes membres, quand ceux-ci ne contribuent plus au budget annuel ? L'IMA a-t-il perdu son rang face aux Louvre, MuCEM et l'Institut des cultures d’Islam ? Jack Lang exige « un rôle phare dans la réflexion » et promet un nouvel élan pour faire oublier les grandes crises que cette maison a connu les dernières années. Entretien.

L’Institut du monde arabe est une institution unique au monde. Avec vous, pour la première fois, figure à la tête de l'IMA un homme issu de la sphère culturelle. Nommé en 2013, quel est le plus important changement que vous avez prévu pour 2014 ?

Tout d’abord, de redonner confiance et créer un climat qui permet à l’IMA de retrouver pleinement son rôle. Quel est son rôle ? C’est d’essayer d’être le reflet du monde arabe dans sa diversité et de ses métamorphoses. Le monde arabe bouge. Donc l’IMA doit à la fois exprimer les héritages, les traditions, mais aussi les innovations.

Etre président de l’IMA, est-ce que cela signifie être, aussi, diplomate français et une sorte de ministre de la Culture franco-arabe ?

Non, je n’ai pas à me mêler de la vie diplomatique. Il y a les gouvernements et des ministres pour cela, mais, disons, l’Institut du monde arabe peut être un pont, « qantara », comme on dit en arabe. Un lien entre les pays, entre la France, l’Occident et les pays arabes. De ce point de vue, c’est une diplomatie de l’esprit.

Vous voulez donner un coup de jeune à cette institution. Est-ce que cela veut également dire donner un coup de pouce à cette jeunesse arabe en révolte dans les pays arabes à travers des expositions, des tables rondes, de la programmation musicale ?

Les jeunes des pays arabes, on les montre à travers de la musique, de la bande dessinée, du street art et d’autres expressions. Ils rêvaient d’une vie nouvelle, d’une vie autre. Ils ont montré aussi leur créativité. À l’IMA, il faut que nous puissions être en mesure de montrer cette créativité.

Quelle est, aujourd’hui, la destination du rayonnement culturel de cette institution, vu que les pays arabes ne contribuent plus au budget annuel de l’IMA ?

C’est ainsi. Mais la France apporte une subvention régulière. Et puis, événement par événement, projet par projet, je me tourne vers tel ou tel pays, ou tel ou tel mécène. Pour 2014, j’ai réussi à trouver les financements [lors des vœux à la presse, Jack Lang avait évoqué un budget en baisse, sans donner des chiffres. Les dernières recettes connues datent de 2012 : 20,5 millions d’euros dont 12,2 du Quai d’Orsay, ndlr].

Mais la destination du rayonnement culturel de l’IMA a-t-elle changé à cause de cela ?

C’est indépendant du financement. Les événements que nous allons organiser ici sur l’Orient-Express [Il était une fois l’Orient Express, du 1er avril au 3 août, ndlr], sur le pèlerinage de la Mecque [Hajj, du 22 avril au 10 août, ndlr], auront une répercussion internationale. En France, naturellement, de très nombreux visiteurs seront présents lors de ces rendez-vous. Je suis sûr que nous accueillerons aussi, notamment pendant l’été, des visiteurs venant de tous les pays arabes.

La Syrie, l’Égypte, la Tunisie… Les pays arabes sont toujours en ébullition. Quel est le rôle de l’IMA : observer, accompagner ou soutenir cette soif pour la liberté ?

Nous n’avons pas à nous immiscer dans la vie intérieure des pays. Il ne faut pas prendre parti. Mais quand même, on peut se réjouir déjà de certains aspects positifs. Quand la Tunisie réussit à adopter quasiment à l’unanimité une Constitution et à organiser des élections libres, c’est un moment historiquement fort. Et on doit se réjouir que le Printemps arabe, né en Tunisie, puisse s’accomplir en Tunisie plus durablement encore, grâce à la construction d’un régime démocratique permanent.

Au Maroc, d’autres évolutions ont été entreprises sous l’impulsion de Sa Majesté, le roi du Maroc : un Parlement nouveau a été élu, une Constitution nouvelle a été adoptée. Le préambule de la Constitution a été une hymne à la diversité dont nous reparlerons à l’occasion de l’événement sur le Maroc contemporain [Le Maroc aux mille couleurs, du 15 octobre au 11 janvier 2015, ndlr]. Voilà des événements positifs. D’autres événements dans le monde arabe sont moins positifs, mais permettez-moi de ne parler aujourd’hui que des événements positifs.

Aujourd’hui, il y a le MuCEM à Marseille, le département des arts de l’Islam au musée du Louvre, le nouvel Institut des cultures d’Islam (ICI) dans le 18e arrondissement à Paris. Est-ce que l’IMA a perdu son rang ?

Non, je ne vis pas les choses comme ça, moi, qui ai contribué au développement de ces institutions. Le Louvre, par exemple, quand je l’ai « hérité » en 1981, c'était un musée qui était à l’écart de beaucoup de choses. Vous parlez du département des arts islamiques. C’est moi-même qui ai déterré les collections de l’art islamique qui dormaient dans des caisses au Palais de Tokyo. Dans un premier temps, je les ai présentées à l’IMA, jusqu’au jour où le Louvre s’est réveillé et s’est dit que, après tout, ces collections leur appartenaient. Je ne peux pas me plaindre, mais au contraire me réjouir qu’enfin, après tant d’années d’ignorance et d’indifférence, le Louvre s’est finalement intéressé à l’art islamique et présenté ces collections d’une manière aussi brillante et aussi belle. On n’a pas à marcher les uns sur les autres. On peut se compléter et travailler ensemble.

L’Institut des cultures d’Islam (ICI) a créé une nouveauté : il y a une salle de prière installée dans le même bâtiment, même si elle est indépendante. Pour vous, à l’IMA, est-il imaginable que l’on installe une salle de prière, en échange d’un mécénat, par exemple ?

La question n’a pas été posée et j’ai tellement de questions à résoudre… Roosevelt appelait cela des « If-questions ». Si, si, si… La question n’a pas été posée, donc je n’ai pas à inventer une question qui ne m’a pas été posée. Si on veut prier, on peut prier.

Dans le passé, il y a eu à l’IMA une exposition sur des caricaturistes arabes qui avait posé problème. De même que Sleep, une installation vidéo de l’artiste Mounia Fatmi qui montre Salman Rushdie en train de dormir. Est-ce qu’il y a des limites à la liberté d’expression à l’IMA ?

Je n’en sais rien. Je n’en ai pas connu pour l’instant. Je suis libre, mais je suis respectueux aussi des différentes cultures, des différentes personnalités. Je me sens complètement libre. Je n’ai jamais reçu la moindre directive, ni la moindre censure. Et je suis un homme de liberté.

Comme vous l’avez souligné, aussi, avec l’affaire Dieudonné où vous avez dit : « La décision du Conseil de l’État est une profonde régression »...

Oui. Et je persiste et signe. Je trouve tout à fait regrettable que la haute juridiction administrative française ait, par un revirement de jurisprudence, ouvert la voie - sur des bases morales - à l’interdiction de spectacles ou de manifestations. Ce n’était pas la tradition française. La tradition française était qu’on ne pouvait interdire un événement, une manifestation ou un spectacle que s’il y a une menace grave contre l’ordre public matériel à laquelle la puissance publique ne sait pas résister. En l’occurrence, il n’y avait aucune menace grave contre l’ordre public, quoi qu’on pense de Dieudonné et de ses horribles spectacles.

La fréquentation de l’IMA se situe aujourd’hui autour de 350 000 visiteurs par an, après avoir connu des sommets de 1 million par an. Avez-vous l’espoir de renouer avec ces records ?

Ce n’est pas mon type de raisonnement. Il y aura beaucoup de visiteurs, mais je ne vais pas dire 800 000 ou 1 million. Ce qui m’importe, c’est que beaucoup de gens viennent ici et y passent et apprennent des choses. L’évaluation en nombre n’est pas du tout conforme à l’esprit ce cet institut. C’est un institut où l’on vient apprendre l’arabe. Oui, il y a 3000 étudiants qui viennent apprendre l’arabe. Est-ce que c’est comparable aux gens qui viennent visiter une exposition ? Non. Ce que je peux prédire c’est que l’institut sera considérablement fréquenté.

Pour l’exposition Hajj, vous avez prévu de créer un site internet dédié. Quels sont vos projets dans le domaine du musée virtuel ? Envisagez-vous, par exemple, une collaboration avec le Google Art Project ?

Pour l’instant, je fais confiance aux équipes. Je ne suis pas un spécialiste. Il y a une refonte et un renouvellement du site de l’IMA qui a vocation à constituer un portail de référence des ressources sur le monde arabe à l’international et qui nous permettra justement de nous adresser à tous les citoyens. Pour l’exposition Hajj, nous nous adressons notamment aux pèlerins à qui nous demanderons de nous dire leur témoignage de leur propre pèlerinage. Et nous voudrions incorporer des témoignages personnels dans l’exposition.

2015 sera une année bande dessinée pour l’Institut du monde arabe ?

Non, c’est un projet que nous avons avec le Festival international de bande dessinée d’Angoulême. Il n’est pas encore bouclé complètement. Nous voulons absolument que la bande dessinée - qui n’a jamais été présente pleinement ici - ait droit à citer à l’IMA à travers un grand événement qui mettrait en valeur la bande dessinée dans le monde arabe, mais aussi le monde arabe dans la bande dessinée occidentale.

 ____________________________________
Le site officiel de l’IMA.

 

Partager :