Le Kenya indépendant souffle ses 50 bougies

Les festivités ont commencé dès minuit avec le drapeau kényan érigé dans les jardins de l’Uhuru où, il y a 50 ans, le « père de la nation » Jomo Kenyatta a proclamé la fin de la colonisation britannique. Pour de nombreux Kényans, l’heure est au bilan.

Le Kenya célèbre ce jeudi 12 décembre le cinquantième anniversaire de son indépendance. Colonie britannique entre 1895 et 1963, le Kenya fut le 35e pays d’Afrique à se doter d’une Constitution, d’un drapeau et d’un hymne national. A 00 heure pile du 12 décembre 1963, dans le cadre d’une cérémonie solennelle à l’Uhuru Gardens (« les Jardins de la liberté »), à Nairobi, le drapeau du nouvel Etat fut hissé et le gouverneur britannique transmit le pouvoir au gouvernement kényan dirigé par le « père de la nation » Jomo Kenyatta.

Coïncidence significative, l’homme qui préside aujourd’hui aux célébrations du jubilé de l’indépendance n’est autre que le fils du premier président de l’Etat libre du Kenya. C’est à partir des Uhuru Gardens où son père proclama l’indépendance du pays, qu’Uhuru Kenyatta, élu à la présidence il y a neuf mois, s’est adressé ce 12 décembre 2013 à la nation. Prenant la parole lors de la cérémonie de commémoration, il a rappelé le chemin que le pays devrait encore parcourir pour réaliser les ambitions de ses pères fondateurs.

Relayant les propos présidentiels, la presse kényane a pour sa part publié une carte montrant les défis auxquels le Kenya était confronté en 1963. Selon les journalistes, cinquante ans après l’indépendance, le pays doit relever de nouveaux défis, alors que les problèmes anciens n’ont toujours pas été réglés. Les nouveaux défis du Kenya 2013 ont pour nom : tribalisme et corruption.

Un peu d’histoire…

Après la colonisation, la vie politique kényane a été longtemps dominée par le charismatique père fondateur. Kenyatta et son parti, l’Union nationale africaine du Kenya (KANU), ont dirigé le pays pendant quinze ans. C’est en monarque patriarcal que le président Kenyatta a régné sur son peuple. Paradoxalement, l'homme ne tarda pas à chausser les bottes du colonisateur qu’il avait autrefois combattu avec véhémence et détermination. Il consolida son assise politique en généralisant la propriété privée de la terre et en distribuant les exploitations agricoles européennes les plus productives à ses partisans. Ses détracteurs l’ont accusé de s’être personnellement enrichi en s’appropriant des terres appartenant à l’Etat. Sur le plan économique, il érigea le Kenya en vitrine du développement libéral pour s’attirer les bonnes grâces des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, l’ancien colonisateur.

Les politiques pro-occidentales de Jomo Kenyatta ont aggravé les inégalités sociales. Elles furent contestées par l’autre grand leader indépendantiste Oginga Odinga. Dans son autobiographie intitulée Not yet Uhuru, publiée en 1967, cet allié devenu le principal opposant du régime déclarait que malgré le départ des Britanniques, le Kenya n’avait toujours pas réussi à s’affranchir de la dépendance coloniale.

L’ère Kenyatta fut également marquée par des turbulences politiques, avec l’assassinat par le régime de quelques-uns des leaders les plus brillants du pays : Tom Mboya en 1969 ou JM Kariuki en 1975. La pratique s’est généralisée sous le gouvernement de Daniel Arap Moi qui a succédé à Kenyatta. Autocrate peu éclairé, Moi, issu lui aussi de la KANU, a gouverné le Kenya, d’une main de fer, 24 années durant, imposant le régime du parti unique et divisant la population sur des lignes ethniques. Sous son règne, des scandales de corruption prolifèrent et les tortures des opposants emprisonnés deviennent systématiques.

C’est sous la pression de ses alliés occidentaux que le Président Moi se résolut à introduire, dans les années 1990, le multipartisme et à limiter la durée des mandats présidentiels. Il faudra toutefois attendre 2002 pour voir enfin la démocratie, encore fragile, s’imposer au Kenya, avec l’arrivée au pouvoir d’une alliance des partis d’opposition dirigée par l’opposant Mwai Kibaki. Malgré ses efforts pour en finir avec la corruption, le nouveau régime vit les affaires financières se multiplier, ce qui finit par le décrédibiliser auprès de la population et des investisseurs étrangers.

Kibaki fera deux mandats, mais sa réélection en 2007-2008 fut accompagnée d’explosions de violences ethniques et de massacres d’ampleur sans précédent. Pour aider à panser les plaies de ces atrocités interethniques qui ont profondément traumatisé le pays, le Parlement kényan a adopté en 2010 une nouvelle Constitution censée renforcer les bases de la démocratie en mettant en œuvre une véritable politique de décentralisation. Si le scrutin présidentiel de 2013 qui s’est déroulé dans un calme relatif, la politique de pacification engagée par le régime n’y est sans doute pas étrangère.

Bilan économique

Si le bilan politique de ces cinquante premières années s’avère pour le moins équivoque, le pays semble s’être mieux sorti sur le plan économique. Malgré les turbulences qui ont jalonné l’histoire postcoloniale du Kenya et la corruption légendaire de sa classe politique, le Kenya est parvenu à s’affirmer comme la première économie de l’Afrique australe. Le pays fonde traditionnellement son activité sur l'agriculture et le tourisme et  affiche des taux de croissance enviables : 4% en 2012, 5,5% en 2013. Sa cote auprès des investisseurs s’est améliorée suite aux découvertes de pétrole dans le Nord et de gaz naturel sur les côtes. Il est aujourd'hui une destination recherchée. Cette embellie permettra-t-elle au Kenya d’en finir avec sa pauvreté séculaire qui touche aujourd’hui 46% de la population ?

Selon les observateurs, le Kenya reste « l’une des places les plus inégalitaires sur terre », avec la richesse concentrée « entre les mains de 5% de la population ». A la recherche des réponses à la hauteur des défis, la classe politique kényane a lancé il y a cinq ans un vaste programme de modernisation des infrastructures et de développement social intitulé « Vision 2030 ». Son objectif est double : porter d’ici vingt ans la croissance à 10% et créer « une société égalitaire et unie fondée sur la justice sociale ».
 

Partager :