Quel souvenir garderez-vous de Nelson Mandela ?
Mary Robinson : Il était l'homme le plus extraordinaire que je n’ai jamais rencontré qui défendait des valeurs extrêmement importantes pour le monde d'aujourd'hui et qui respectait ces valeurs au quotidien. C'était quelqu'un qui était capable de toucher les gens, de les inspirer et de les amener à donner le meilleur d'eux-mêmes. Je pense que c'est cet héritage qu'il va laisser, à savoir les valeurs qu'il défendait, sa passion pour la justice, pour la lutte contre les discriminations et sa capacité à toucher, y compris ceux qui sont les plus marginalisés dans nos sociétés ainsi que les jeunes. Il poussait les Elders à se tourner vers les jeunes, à comprendre qu'ils avaient besoin de se sentir inclus, qu'ils avaient besoin d'espace et d'encouragement.
Et d'un point de vue plus personnel ?
D'un point de vue personnel ? C'est le plaisir d'être en sa compagnie. Il était très drôle. Il utilisait l'humour pour empêcher les gens de le mettre sur un piédestal. Il était tout le temps en train de blaguer, de vous chercher, de flirter.... surtout avant son mariage avec Graça Machel. C'était un homme aux talents multiples.
Avec l'archevêque Desmond Tutu, ils plaisantaient beaucoup et nous riions avec eux. Il disait espérer que l'archevêque Desmond Tutu l'aiderait à aller au paradis, l'aiderait à passer Saint-Pierre. C'est la formule qu'il utilisait : « Ce saint homme va m'aider à aller au Paradis ». C'était ce genre de rapport léger, drôle, entre amis. C'est ce que j'appréciais particulièrement chez lui.
Donc il ne pensait pas qu'il irait au paradis ?
Il plaisantait là-dessus. Je pense que c'était surtout une personne très humble. Il ne se mettait jamais en avant ; il était très accessible, une fois qu'on le connaissait. Et comme je le disais, il utilisait toujours l'humour pour empêcher les gens de penser qu'il était quelqu'un d'extraordinaire.
Pourquoi croyez-vous que c'était important, pour lui, de nous empêcher de penser qu'il était hors du commun ?
Je pense qu'il avait un rapport très personnel à l'humilité. Il disait tout le temps qu'il y en avait tant d'autres qui s'étaient battus pour la liberté, contre l'apartheid. Quand il est venu en Irlande, il avait tenu à remercier les vendeuses d'une chaine de magasins irlandais – Dunn stores - qui avaient refusé d'accepter de vendre des marchandises produites par le régime de l'apartheid. Elles ont eu beaucoup de problèmes ; elles ont perdu leurs emplois mais elles ont tenu bon.
Ça, c'était le Nelson Mandela qui cherchait toujours à faire attention à ceux qui se tenaient à l'écart ou bien qui étaient marginalisés d'une manière ou d'une autre ou encore qui étaient tout simplement intimidés. Et il était aussi du genre à toujours remercier les employés dans les hôtels : il passait de bureau en bureau et s'arrêtait particulièrement pour remercier les femmes de ménage. Il avait un sens élevé de la dignité de chaque être humain.