Hubert Vedrine: «Les Africains n’ont peut-être pas envie de rester seuls avec les Chinois»

Un forum économique se tient ce mercredi 4 décembre au ministère français des Finances, en guise de prologue au sommet de l'Elysée pour la paix et la sécurité en Afrique. Les Français Hubert Vedrine et Jean-Michel Severino, le Béninois Lionel Zinsou, le Tunisien Hakim El Karoui et l’Ivoirien Tidjane Thiam ont rédigé 15 propositions pour favoriser la dynamique économique entre la France et l’Afrique. Des propositions qui seront étudiées par les chefs d’Etat présents vendredi et samedi au sommet de l’Elysée. Décryptage avec Hubert Vedrine, ancien ministre des Affaires étrangères.

RFI : Dans votre rapport, vous dressez ce constat : l’Etat français s’est désintéressé de l’Afrique au cours de la dernière décennie. A quel niveau est-ce le plus manifeste ?

Hubert Vedrine : Ce n’est pas l’Etat, c’est la France en général. Au moment où l’Afrique connaissait un développement déjà considérable, masqué par des problèmes, voire des tragédies, bien sûr, dans quelques pays, la France globalement (l’Etat, les administrations, les médias, le monde économique), a eu un moindre intérêt des controverses sans fin franco-françaises sur toutes ces questions africaines.

Dans le même temps, la plupart des puissances qui comptent dans le monde ont été de plus en plus présentes en Afrique. Un décalage s’est ainsi installé. Le point de départ de l’initiative c’est d’avoir dit : « Il faut faire ce bilan qui n’est pas bon – parce qu’on a perdu beaucoup de terrain en terme économique – donc il faut réagir ». C’est ça l’idée. Là où la France a des liens anciens que tout le monde connaît, il y a une espèce d’état d’esprit de rente. On est là, on est un peu chez nous, ça devrait être normal et facile de trouver les marchés, les contrats… Mais enfin ! Il y a tous les autres maintenant !

On parle de mentalité, de frilosité, et donc forcément de risques. Vous dites dans votre rapport « l’évaluation des risques actuellement est mauvaise ».

C’est un vrai problème parce que, vu de loin, les gens mélangent un peu tout. L’Afrique, c’est quand même énorme. Dès qu’il y a un drame, malheureusement, une tragédie dans telle ou telle partie de l’Afrique ou une instabilité, ça brouille un peu toute l’image. Pour sortir de cela, nous pensons qu’il faudrait des systèmes d’évaluation des risques plus rationnels, plus objectifs, plus précis, et on verrait que sur la cinquantaine de pays qu’il y a en Afrique, peut-être qu'il y en a trois ou quatre où c’est trop instable pour travailler aujourd’hui. Peut-être dans cinq ans... Mais ça, en tout cas, ça ne touche pas l’ensemble.

Pour amorcer ce changement, vous proposez de cofinancer 15 entreprises africaines au niveau de ce risque.

C’est l’une des propositions. Le rapport comporte beaucoup de propositions, c’est une commission, donc on est assez libre, et on a lancé des tas d’idées. Ce sont des idées que nous lançons, mais qui sont à débattre avec nos partenaires africains. Quand on dit par exemple : « Pourquoi ne pas élargir le champ de la zone franc CFA à des pays d’Afrique de l’Ouest ? », pourquoi pas ! Mais ça n’est pas nous, commission, qui allons décider. On lance l’idée, si ça intéresse les chefs d’Etat concernés, leur ministre des Finances, leur gouverneur de leur Banque centrale, ils vont réfléchir et voir si c’est possible d’aller plus loin.

Dans la partie « Nous Français, nous devons mieux faire », il y a les consulats, les visas. D’ailleurs, c’est votre première proposition : l’octroi de visas longue durée à entrées multiples, pour des entrepreneurs, pour des membres de l’élite africaine. C’est bien ça ?

C’est ce que nous appelons les visas économiques. Si on met ça en tête de l'une de nos séries de propositions, c’est parce qu’on nous a dit ça tout le temps. Il faut des visas pour travailler. Tout ça n’a aucun rapport avec l’asile, aucun rapport avec les questions d’immigration en général, ça a un rapport avec le fait que les gens qui ont besoin de venir fréquemment pour travailler, des hommes d’affaires ou des représentants d’administrations économiques, pour négocier, conclure. Il faut qu’ils puissent travailler, donc entrer et sortir sans problèmes.

Et ils peuvent entrer et sortir plus facilement dans les pays concurrents de la France en Afrique d’ailleurs...

Oui. Manuel Valls et son équipe sont tout à fait conscients de cette question. Il y a déjà des améliorations. Nous, on dit simplement qu’il faudrait aller plus loin.

Vous préconisez également la création d’une fondation publique/privée franco-africaine. On va vous dire, on vous l’a peut-être déjà dit, « a-t-on vraiment besoin de nouveaux machins ? »

Certainement pas, et surtout pas de nouveaux « machins ». Alors on a dit « fondation » parce qu’il faut mettre un mot quelque part, mais ce que nous avons en tête est très souple. Nous, l’idée qu’on a eue, c’est qu’il faut quand même avoir une idée pour la suite, pour continuer dans le même état d’esprit, pour mettre en relation les différentes entreprises et comprendre ce qui marche bien, les sociétés civiles, les jeunes élites nouvelles. Il faut une toute petite structure en fait, qu’on se projette dans cette Afrique de demain.

Quand on vous dit : « On veut plus de France », pourquoi est-ce qu’ils veulent plus de France ? Quelles sont les qualités de la France ?

On a l’impression qu’ils contents que les Chinois sont là et mettent un peu la pression sur ceux qui se considéraient comme des rentiers. Mais ils n’ont peut-être pas envie de rester seuls avec les Chinois.

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