Afrique-France: en quête d'un «nouveau modèle» économique

Le forum économique se tient ce mercredi 4 décembre au ministère des Finances, en guise de prologue au sommet de l'Elysée pour la paix et la sécurité en Afrique qui se déroule vendredi et samedi. Plus de 500 chefs d'entreprises français et africains se retrouvent donc en présence d'une vingtaine de ministres et de quatre chefs d'Etat. Quasiment tout le CAC 40 franco-africain est là pour cette réunion de haut niveau sur les rapports d’affaires entre le continent et la France. Il est question d’un nouveau modèle de partenariat économique.

Il s’agit de donner un nouveau modèle, un nouvel élan entre la France et l’Afrique, tant il est vrai qu’ici, de l’avis de beaucoup de participants, la donne est imperceptiblement en train de se modifier. Le rapport publié aujourd’hui à ce forum, intitulé « Pour un partenariat de l’avenir », souligne qu’il y a un changement de perception et d’attitude de la France à l’égard de l’Afrique. L’Afrique s’ouvre de plus en plus à de nouveaux partenaires, la Chine a vu ses parts de marché croître de 2% en 1990 à 16% en 2011.

De 2000 à 2011, la France a pour sa part chuté de 10 à 4,7% sur le marché continental. Par ailleurs, le continent africain a vu tripler en cinq ans le montant de ses investissements étrangers, ce qui est un signal fort de l’intérêt économique qu’il suscite de la part d’opérateurs traditionnels occidentaux, ou de la part de ceux qui sont de plus en plus dynamiques, les nouveaux, les Turcs, les Brésiliens, les Indonésiens et bien sûr les Chinois.

Des enjeux considérables

L’Afrique, toujours selon ce rapport, est aussi le continent qui peut générer de l’emploi en France, un paradoxe à l’heure où l’on délocalise beaucoup, notamment au Maghreb. Mais, disent les experts, si le montant des exportations françaises réussissait à doubler vers l’Afrique dans les cinq ans, cela pourrait créer 200 000 emplois en France.

→ À (RE)LIRE : Forum économique franco-africain à Bercy

On le voit, les possibilités sont importantes. Les enjeux sont énormes pour les deux partenaires, qui ne cessent de parler d’intérêts bien compris. Et pour ne pas rater le coche de la croissance, les Français Hubert Vedrine et Jean-Michel Severino, le Béninois Lionel Zinsou, le Tunisien Hakim El Karoui et l’Ivoirien Tidjane Thiam ont rédigé 15 propositions pour favoriser cette dynamique économique entre ces deux vieux partenaires.

Des propositions qui seront étudiées par les chefs d’Etat présents vendredi et samedi au sommet de l’Elysée.

► Les 15 propositions

1. Poursuivre et amplifier les mesures révisant la politique française de visas économiques afin de faciliter la circulation des acteurs économiques entre la France et l’Afrique.

2. Relancer la formation du capital humain, la coopération universitaire et de recherche, les échanges intellectuels et les orienter vers le développement.

3. Soutenir le financement des infrastructures en Afrique.

4. Réduire le coût de mobilisation des capitaux privés et des primes de risques appliquées à l’Afrique.

5. Contribuer au renforcement des capacités de financement de l’économie africaine.

6. Augmenter les capacités d’intervention de l’Union européenne en faveur de l’Afrique.

7. Susciter des alliances industrielles franco-africaines dans des secteurs clés pour les économies française et africaine : agriculture, énergie, transport, développement urbain, biens de grande consommation, numérique, industries culturelles, santé, tourisme et sécurité.

8. Promouvoir l’économie responsable et l’engagement sociétal des entreprises.

9. Accompagner l’intégration régionale de l’Afrique.

10. Renforcer l’influence de la France en Afrique.

11. Réinvestir au plus vite la présence économique extérieure française en Afrique subsaharienne.

12. Intensifier le dialogue économique entre l’Afrique et la France.

13. Favoriser l’investissement des entreprises françaises en Afrique.

14. Faire de la France un espace d’accueil favorable aux investissements financiers, industriels, commerciaux et culturels africains.

15. Créer une fondation publique-privée franco-africaine qui sera le catalyseur du renouveau de la relation économique entre la France et l’Afrique.

 

■ RENCONTRE AVEC Hakim El Karoui, corédacteur des 15 propositions

RFI : La France est le premier investisseur en Afrique, mais en dix ans, des marchés ont fortement diminué. Comment l'expliquer ?

Hakim El Karoui : Il faut être juste : ce qui a diminué, c’est la part de marché de la France en Afrique, ce n’est pas la présence de la France en Afrique qui, elle, a augmenté. Mais comme le commerce avec l’Afrique a, lui, considérablement augmenté, on a le sentiment que la France est moins présente qu’avant. Ca concerne les flux.

Quand on regarde les stocks, on constate que la France est toujours le premier investisseur en Afrique. Il faut être réaliste, c’est-à-dire bien voir, notamment, la montée de la Chine, mais en même temps ne pas caricaturer la situation. La France est toujours présente en Afrique. Par contre, ce qui est vrai, c’est qu’il n’y a pas de prise de conscience, en France, du potentiel de l’Afrique.

Quels sont les secteurs d’activité qui sont les plus porteurs ?

Là où il y a de grandes entreprises françaises, traditionnellement, c’est notamment vers le secteur qui a connu le premier le décollage, les communications. C’était Orange, c’était Vivendi via Maroc Telecom. Il y a aussi une activité traditionnelle bancaire, des activités logistiques portuaires où les Français ont une place très importante.

Il y a des activités de distribution, comme par exemple ce que fait CFAO, distribution automobile, distribution d’équipement, etc., qui est aussi majeure. Mais le cas de CFAO, le cas de Maroc Telecom, sont intéressants, ce sont deux grandes entreprises qui étaient contrôlées par des groupes français, qui ont été vendus, à des Japonais pour CFAO, à des Emiratis pour Maroc Telecom.

Vous parliez de la Chine tout à l’heure. Est-ce le pays qui fait le plus de concurrence directe à la France ?

Quand on regarde en détail, les entreprises françaises et chinoises sont rarement en concurrence, parce que les Chinois sont très présents soit dans le BTP, les infrastructures – où les entreprises sont presque sorties parce qu’elles sont devenues beaucoup trop chères – soit sur des sujets miniers, où traditionnellement les Français ne sont pas extrêmement présents. Ce sont plutôt les Américains, les Anglo-Saxons, les Canadiens, qui sont très importants sur le continent.

Par contre, il y a traditionnellement l’idée que la France est forte en Afrique, notamment en Afrique francophone, et qu’elle a maintenant un nouveau concurrent global, parce que c’est de la concurrence économique mais c’est aussi, évidemment, de la concurrence politique. Et ce concurrent c’est la Chine.

Voilà pour le constat, d’où cette grande conférence à Bercy. C’est l’ancien ministre des Affaires étrangères, Hubert Vedrine, qui a été chargé du diagnostic et surtout des solutions. Vous avez travaillé avec lui, vous présentez 15 propositions, parmi lesquelles notamment une révision de la procédure des visas. Pourquoi ? Qu’est-ce qui bloque ?

On a mis cette proposition en tête des 15 propositions parce que les visas, quand vous parlez à des Africains et de la relation entre la France et l’Afrique, ils vous disent : « Ecoutez, vous êtes bien gentils, mais si on ne peut pas accéder chez vous, pourquoi est-ce qu’on travaillerait avec vous ? » Il y a une législation qui est très contraignante, il y a en France, vous le savez, des inquiétudes très importantes sur les flux migratoires...

Il y a aussi de l’inefficacité opérationnelle. Même avec une législation qui a su quand même ces dernières années un peu s’assouplir, notamment pour les flux d’affaires, malgré cette évolution, parce que c’est mal organisé sur place dans les consulats parce qu’il y a des difficultés, parce qu’il y aussi des flux qui sont importants, et bien les délais sont encore extrêmement importants. Donc, lever, améliorer, de façon visible et concrète, la situation des visas, c’était vraiment pour nous un pré-requis.

Le rapport invite aussi Paris à tirer les capitaux africains, à drainer l’épargne des diasporas vers l’investissement en Afrique. Cette piste peut-elle fonctionner ?

Elle fonctionne en fait déjà aujourd’hui, parce que si on ne veut pas se payer de mots, on peut dire que Paris est la capitale financière de l’Afrique, en tout cas de l’Afrique de l’Ouest et probablement que Londres est encore largement la capitale financière de l’Afrique anglophone, si je laisse de côté l’Afrique australe. Il y a beaucoup de transactions qui se font à Paris, il y a beaucoup d’affaires, tout simplement, qui se font à Paris. Par contre il y a un cadre législatif qui n’est pas suffisamment attractif pour qu’il y ait une localisation d’investissements ou de co-investissements entre l’Afrique et la France via Paris.

Parallèlement, vous proposez d’augmenter les frais de scolarité d’étudiants étrangers africains, cela paraît contradictoire.

Pour être honnête, il faut aller jusqu’au bout de la proposition. Ce qu’on dit, c’est que ça peut avoir du sens d’augmenter certains frais de scolarité pour les étudiants qui sont particulièrement aisés, pour pouvoir financer des bourses – donc la gratuité totale et donc l’accès à l’enseignement supérieur français – pour des étudiants africains qui ne le sont pas. C’est par exemple ce qui se fait à Sciences-Po depuis un certain nombre d’années et il nous semble que c’est une mesure à la fois de justice sociale et puis d’efficacité, puisque ça allait permettre d’attirer plus d’étudiants.

Une fois ces étudiants formés en France, qu’est-ce qui dit que, de retour dans leurs pays, ils travailleront avec des entrepreneurs français et ne feront pas de concurrence directe à la France ?

D’abord, il faut que l’étudiant retourne dans son pays. L’un des grands problèmes de l’Afrique, c’est qu’elle exporte énormément de compétences et que ces compétences, une fois hors de l’Afrique, ne reviennent pas. Il y a donc un vrai sujet pour les faire revenir. De ce point de vue là, les entreprises françaises peuvent être très efficaces, parce que des jeunes diplômés africains, souvent, quand ils reviennent au pays, sont contents de pouvoir continuer de travailler dans le même cadre, avec aussi des salaires proches de ceux qu’ils avaient quand ils étaient en Europe où aux Etats-Unis par exemple.

Donc, de ce point de vue là, les entreprises ont un vrai rôle pour faire revenir les Africains. Ensuite, et bien peut-être que ces Africains ne vont pas travailler dans une entreprise française. Mais quand vous parlez français, que vous avez été éduqué, formé, dans le système universitaire ou de grandes écoles françaises, et bien vous allez quand même plus naturellement vers des entreprises dont vous partagez la culture.

Qui a le plus besoin de l’autre, la France ou le continent africain ?

Ce qu’on dit dans ce rapport – et c’est peut-être l’une des ces nouveautés en terme de discours, vous savez en la matière le discours est important –, c’est que ce n’est pas seulement l’Afrique qui a besoin de la France, c’est qu’aujourd’hui, la France a besoin de l’Afrique au moins autant que l’Afrique a besoin de la France, pour faire de la croissance et pour continuer à s’ouvrir et à grandir dans le monde.

On voit bien qu’en France, on a des difficultés aujourd’hui, parce qu’on se dit qu’on est les perdants de la mondialisation. On essaie de montrer aux Africains, mais surtout aux Français, que la mondialisation peut apporter des atouts et des bénéfices pour le pays et notamment en Afrique.

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