De notre correspondant à Rabat,
En cercle, une dizaine de militants de l'Istiqlal dansent autour du joueur de nîra, la flûte marocaine. Sous les pancartes, au milieu de l'imposant cortège qui traverse le centre-ville de Rabat, ils tapent dans leurs mains au rythme de la musique. Mais s'ils manifestent ce dimanche 22 septembre dans l'après-midi, c'est surtout à cause de la politique.
Tous ici demandent le retrait de la mesure dite « d'indexation » du prix du carburant sur le prix du baril de pétrole. Mais aussi la démission pure et simple du Premier ministre islamiste Abdelillah Benkirane. Pour Saïd Mohamed, membre du comité exécutif de l'Istiqlal, le grand parti conservateur à l'origine de cette mobilisation, c'est la seule alternative. « Il est le premier responsable parce qu'il est le Premier ministre, le chef du gouvernement, clame-t-il au milieu de partisans, sous le soleil brûlant. C'est pour ça que les slogans demandent qu'il parte, qu'il laisse faire les gens qui sont capables de meilleures choses pour le Maroc. »
« L'indexation », c'est le mot qui est sur toutes les lèvres cette semaine dans le pays. Il s'agit d'une mesure urgente décidée par le gouvernement marocain cet été pour faire face à la flambée des cours du pétrole. L'idée est de moduler le prix de l'essence, du gasoil et fioul industriel, selon les fluctuations du pétrole sur les marchés mondiaux. Car dans sa loi de finances, le Maroc avait tablé sur un baril à 105 dollars. Or, en deux mois, il a atteint 118 dollars.
Préserver le système de « caisse de compensation »
La décision de jouer sur le prix de certains carburants visent surtout à préserver le système marocain de « caisse de compensation » qui régule les prix de denrées de base comme l'essence, le butane, le sucre ou la farine. Pour maintenir des prix bas, l'Etat rembourse les fluctuations des prix des matières premières.
Abashi Shamamba, chef de rubrique de l'hebdomadaire indépendant L'Economiste, trouve donc la décision d'indexation particulièrement justifiée. « Premièrement, elle est surtout justifiée par la nécessité de rééquilibrer les finances de l'Etat, explique-t-il. Le Maroc a terminé l'année 2012 avec un déficit de 7,2%, ce qui est considérable. Deuxièmement, la politique de compensation consiste en soutenir les prix des produits dits "de base" dont les produits pétroliers. Cette politique coûte 6% du PIB, environ cinq milliards d'euros tous les ans. Quand le pétrole augmente, comme cette année, le choc est très fort pour le budget de l'Etat. »
Avec une certaine logique, le ministre des Affaires générales et de la gouvernance, Najib Boulif, insiste pour dire que « l'indexation » se répercutera certes, de manière limitée et contrôlée, sur le prix à la pompe, en cas de hausse du prix du baril. Mais aussi et surtout en cas de baisse, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Les Marocains observent...
Alors, après cet indispensable ajustement comptable, tout irait parfaitement bien au royaume du Maroc ? Ce n'est pas l'avis d'el-Aziz Abdelkerim, membre du comité exécutif de la Confédération démocratique du travail, un syndicat lié au parti socialiste. « Nous avons surtout un problème de volonté politique, précise-t-il. Dans une crise, il existe plusieurs choix économiques, il n'y a pas qu'un seul choix. Le trésorier général a déclaré il y a quelques jours que le taux de couverture des impôts au Maroc était de 40%, contre 98% en France. Ce qui signifie que nombre d'entreprises ne payent pas d'impots. Nous avons également une forte concentration fiscale : 3% des entreprises payent 80% des impots. Le gouvernement n'a pas la volonté politique pour aller trouver l'argent là où il est : l'impot sur la fortune, la TVA sur les produits de luxe, élargissement de l'assiette fiscale, réforme de l'économie de la rente, etc. »
Pourtant, le syndicat d'el-Aziz Abdelkerim, la CDT, n'a pas pas participé aux manifestations contre la hausse du prix du carburant. Alors pourquoi tout ce bruit ? Le journaliste Abashi Shamamba a une explication. « Il n'y a pas de grogne sociale au Maroc, dit-il. Il existe plutôt une grogne politique liée à des raisons de positionnement. Nous sommes en pleine négotiations pour la formation du prochain gouvernement et les élections municipales se profilent l'année prochaine. C'est bien pratique pour l'Istiqlal, qui se positionne désormais clairement comme la première force d'opposition, pour faire passer des messages auprès de ses électeurs ».
Pour l'instant, le mécontentement est resté cantonné à l'arène politicienne. La grève lancée par l'Istiqlal n'a été que très peu suivie. Les Marocains observent, en attendant d'être consultés.