Depuis onze ans, la « Chambre » est introuvable en Guinée. La dernière fois que les Guinéens ont voté pour leurs députés, c’était en 2002 sous l’ère Lansana Conté. En 2007, les législatives avaient été reportées. Puis, après le coup d’Etat du capitaine Moussa Dadis Camara, en décembre 2008, l’Assemblée nationale a été dissoute et remplacée par le Conseil national de transition, le CNT, dont les membres étaient désignés par la junte et les partis politiques. L’élection présidentielle de novembre 2010, qui a vu le triomphe d’Alpha Condé, auraient dû marquer le coup d’envoi des élections législatives. Il n’en fut rien, faute de consensus au sein de la classe politique sur le fichier électoral. Il aura fallu près de trois ans pour arriver jusqu’aux urnes.
Des législatives à haut risque
Onze ans après les dernières législatives, les Guinéens s’apprêtent donc à choisir leurs nouveaux députés dans un paysage politique totalement bouleversé. Plus de trente formations et près de 1 800 candidats se disputent les 114 sièges. Aucune des cinq formations de premier plan n’était présente en 2002. Certes, il y a toujours 114 élus, dont 38 au scrutin uninominal à un tour et 76 à la proportionnelle, mais aucun des partis qui composaient l’Assemblée de 2002 ne pèse aujourd’hui sur l’échiquier politique. Le Parti de l’unité et du progrès (PUP) de Lansana Conté, qui avait raflé 65% des voix, n’est plus qu’un fantôme hantant les couloirs de la politique. L’Union pour le progrès et le renouveau (UPR) de Bah Ousmane, à l’époque numéro deux de l’Assemblée, peine à convaincre l’électorat de Moyenne-Guinée, majoritairement acquis à l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) de Cellou Dalein Diallo.
Le paysage politique guinéen s’est redessiné lors de la présidentielle de 2010. Le premier tour a vu Cellou Dalein Diallo (UFDG) arriver en tête, suivi d’Alpha Condé (Rassemblement du peuple de Guinée, RPG, au pouvoir), de Sidya Touré (Union des forces républicaines, UFR), de Lansana Kouyaté (Parti de l’espoir pour le développement national, PEDN) et de Papa Koly Kourouma (Génération pour la réconciliation, l’union et la prospérité, GRUP), pour ne citer que les candidats qui ont passé la barre des cinq pour cent. Une large coalition des perdants du premier tour s’était rassemblée derrière Alpha Condé, lui permettant de dépasser son challenger. Le RPG-Arc-en-ciel ne peut plus aujourd’hui compter sur la même palette de partis alliés, la plupart ayant choisi de présenter leurs propres listes. De plus, le président en exercice va devoir défendre son bilan devant des électeurs. Un bilan forcément incomplet après deux ans et demi à la tête du pays. Aussi, ces élections sont-elles à haut risque pour le RPG-Arc-en-ciel. Cependant, le parti d’Alpha Condé peut compter sur l’effet « chef », cette prime donnée au président et à son parti ainsi que sur la dynamique de réformes entreprises depuis 2010. Parmi ses atouts, il y a aussi des moyens considérables mis à la disposition du parti qui peut, pour la première fois de son histoire, mener une campagne dispendieuse.
Face au RPG-Arc-en-ciel, l’UFDG de Cellou Dalein Diallo a soif de revanche après la défaite de la présidentielle. Et même si ses adversaires prétendent le contraire, ce parti semble avoir conservé intact son électorat, ne serait-ce qu’en raison de la crispation ethnique qui fait que les Peuls se rassemblent derrière leur leader. Par ailleurs, Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré ont renouvelé leur alliance électorale et se sont répartis les candidatures dans leurs bastions respectifs. Derrière ces trois têtes d’affiche, les outsiders comme Lansana Kouyaté, Jean-Marie Doré, Kassory Fofana, à la tête de formations à forte connotation régionale, espèrent brouiller les cartes. Le jeu des pronostics est donc malaisé, en l’absence de sondages à grande échelle. Cependant, une donnée est certaine, la vie politique guinéenne est désormais marquée par une extrême polarisation et une ethnicisation grandissante qui ne peut qu’inquiéter sur la solidité du pacte national guinéen.
Un test pour la présidentielle de 2015
L’autre grande inconnue du scrutin demeure la participation des acteurs jusqu’au terme du processus. Après deux ans de bataille pour s’assurer de la transparence du fichier électoral, l’opposition a accepté le 3 juillet dernier de participer aux élections à la condition que la Commission électorale nationale indépendante (Céni) soit mise sous contrôle. L’accord politique signé le 3 juillet dernier sous l’égide de la communauté internationale a décrispé l’ambiance durant huit semaines mais, depuis début septembre, la bataille a repris et la confiance s’est évanouie.
L’opposition dénonce encore le recensement électoral qui, selon ses calculs, comporte de graves anomalies dans les régions favorables au pouvoir avec, dit-elle, un enrôlement anormal de jeunes dans les fiefs d’Alpha Condé. Elle accuse aussi la Céni d’avoir sciemment semé la confusion dans la distribution des bureaux de vote, éloignant certaines populations hostiles au pouvoir des lieux de vote. Des accusations que réfute la Céni, qui se réfugie derrière les commissions techniques chargées de contrôler son action, où sont représentés les opposants et la communauté internationale.
Cette défiance quasi permanente entre l’opposition et la Commission électorale laisse augurer de lendemains électoraux incertains. L’opposition accuse Bakary Fofana, le président de la Céni, de travailler en sous-main pour le président Alpha Condé et de lui préparer un fichier électoral taillé sur mesure pour les années à venir. Ces attaques répétées et virulentes révèlent en filigrane le dernier enjeu de ces élections législatives de mi-mandat. Il s’agit d’un test grandeur nature pour la présidentielle de 2015. Pour autant, le régime guinéen est de nature présidentiel et si, d’aventure, la majorité à l’Assemblée échappait au pouvoir actuel, rien n’empêcherait Alpha Condé de poursuivre son travail.