RFI : Vous vous présentez comme candidat indépendant mais n’est-ce pas un petit peu présomptueux face au futur candidat du Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC) et face à l’ancien président Kumba Yala du Parti de la rénovation sociale (PRS) ?
Paulo Gomes : D’abord, je suis un candidat indépendant, porté par un vaste mouvement à la base avec les jeunes et les femmes à l’épicentre de ce mouvement. C’est une nouveauté dans le paysage politique guinéen puisqu’il n’y a jamais eu un président qui puisse servir d’arbitre pour la résolution de nos conflits. Il est tout simplement impossible de développer un pays comme la Guinée-Bissau sans avoir un sens du compromis. Et cela, il n’y a qu’un président au-dessus des partis politiques qui puisse jouer ce rôle important et avoir ce rôle d’arbitre.
Vous voulez être arbitre entre les hommes politiques, mais à quoi cela sert-il dans un pays où les hommes politiques ne pèsent pas très lourd face aux militaires ?
C’est pour cela que cette candidature est portée par la jeunesse et les femmes, par la population en elle-même. Et les hommes politiques, il y a des personnalités historiques qui bénéficient encore de beaucoup de respect au niveau du pays mais qui ont décidé pendant plusieurs années de ne plus s’engager. Ils se sont retirés dans leur région.
Mais si les anciens se sont retirés, n’est-ce pas tout simplement qu’ils ont peur ? L’ancien président Nino Vieira a été tué. L’ancien Premier ministre Carlos Gomes Junior a été contraint à l’exil. Est-ce que la parole est libre dans votre pays face aux militaires ?
Tout d’abord, je connais bien ce monde militaire. Je crois qu’il ne faut pas généraliser ce problème à toute l’armée. Il faut rassurer cette armée sur le fait qu’elle a énormément à gagner dans le changement. Il y a eu des épisodes fâcheux et regrettables mais il faut pousser à cette réforme de l’armée.
Le dernier épisode fâcheux, c’est le coup d’Etat d’avril 2012 au moment où Carlos Gomes Junior était en passe de gagner le second tour de la présidentielle. Depuis, il vit en exil. Est-ce que vous êtes pour ou contre son retour ?
Tout candidat devrait être libre de pouvoir se présenter. On dit que sa sécurité ne serait pas garantie s’il devait revenir. Tout devrait être fait pour sa sécurité. Encore une fois, ma candidature n’est pas une candidature contre qui que ce soit. Je veux montrer ce que je peux faire en mettant en place mon expérience nationale, qui est une longue expérience depuis plus de dix ans au sein des différents organes de l’administration publique, dans mon réseau international, dans le multilatéral et dans le secteur privé. Les routes sont complètement détruites, les écoles sont en très mauvais état. Nous ne sommes pratiquement pas desservis par les compagnies aériennes dans la sous région. Donc, c’est un pays qui pratiquement n’est plus sur la carte de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique en général. Je pourrais ramener la Guinée-Bissau sur la carte. Nous pouvons être une plate-forme d’infrastructures de cabotage au niveau de la sous-région. Le site pour un port en eau profonde, l’idéal en Afrique de l’Ouest, est en Guinée-Bissau avec plus de trente mètres au niveau de Bouba. Donc nous pourrions jouer un rôle dans la sous-région en connexion avec le Sénégal, le Mali et d’autres pays.
Dans son dernier discours le mois dernier, le chef d’état-major, le général Antonio Indjai, a mis en garde les Bissau-Guinéens contre toute personne qui s’attaquerait à la communauté balante. Ne craigniez-vous pas que l’armée continue de faire la pluie et le beau temps en faveur de la communauté balante et du candidat Kumba Yala ?
Il n’y a pas de tribalisme dans ce pays. La situation économique a créé des tensions. Certains acteurs politiques se sont appuyés sur des éléments ethniques mais ça n’a pas pris racine. Mon équipe de campagne est multiethnique : nous avons des Balantes, des Peuls, des Mandingues. Vous ne devriez pas donner trop d’importance à sa déclaration. Il faut un leadership et un président qui soient en dehors de la mêlée des intérêts politiques des partis. Et il faut un président qui soit crédible et qui puisse engager différents acteurs au bénéfice de la transformation du pays.
Et à propos de la drogue, la décision de la justice américaine d’inculper votre chef d’état-major, le général Indja, pour complots de narco-terrorisme avec les rebelles FARC de Colombie, c’est une bonne chose ou c’est une mauvaise chose ?
Le général a lui-même fait ses déclarations en la matière, se montrant ouvert à répondre à ces accusations. Il faut aborder cette question de la drogue d’une façon durable en renforçant les élites spéciales au niveau de l’armée et de la police, en leur donnant des moyens qui soient prévisibles pour faire face au crime organisé.
La semaine dernière, l’Assemblée nationale a refusé d’amnistier les auteurs du coup d’Etat d’avril 2012. Si vous aviez été député, vous auriez voté pour ou contre l’amnistie ?
J’aurais voté contre parce que ce n’était pas le moment de mettre sur la table une loi d’amnistie avec un gouvernement de transition. Il ne faut surtout pas, je dirais, pousser ce genre de loi à un moment comme celui-ci. Ce n’était certainement pas la priorité.
Vous êtes indépendant et, du coup, vous n’avez pas de parti. C’est un handicap face au PAIGC et au PRS. Est-ce que vous allez en créer un ?
Non, je ne veux pas en créer un. La crédibilité des partis n’y est pas en ce moment. La demande qui vient en ma faveur au niveau de la base et au niveau des jeunes et des femmes ne confirme pas ce besoin d’avoir un parti politique. Et vous verrez, pendant la campagne, comment nous allons surprendre en Guinée-Bissau.