Liesl Louw, journaliste: «Malgré les accusations de fraudes, Mugabe est très populaire au Zimbabwe»

Au Zimbabwe, l’opposition a déposé un recours pour contester les résultats de l’élection présidentielle de la semaine dernière. Le président Robert Mugabe, 89 ans, a été réélu pour un sixième mandat avec 61% des voix. Mais quelle est la popularité réelle du plus vieux chef d’Etat d’Afrique ? Pourquoi une partie de la population continue de le soutenir en dépit des dérives autoritaires et violentes de son régime ? Pourquoi les pays de la région, en dehors du Botswana, se sont empressés de le féliciter lors de sa réélection ? La journaliste sud-africaine Liesl Louw, consultante à l'Institut des études de sécurité à Pretoria, répond aux questions d’Anthony Lattier.

RFI: L’élection présidentielle n’est peut-être pas le meilleur indicateur qu’il soit mais a-t-on une idée de la popularité au Zimbabwe de Robert Mugabe ?

Liesl Louw : C’est clair que malgré les accusations de fraude lors de ces élections présidentielles, il est toujours très populaire au Zimbabwe. A 89 ans, il a étonné beaucoup de ses détracteurs. Tout le monde se disait « ça sera son dernier sommet de l’Union africaine ou sa dernière année au pouvoir », et chaque année il revient. Il a fait une campagne extraordinaire. Il a fait des discours de 90 minutes. Il a impressionné beaucoup de gens. Et il y a beaucoup de votants, de citoyens, au Zimbabwe et en Afrique, qui apprécient ces politiques de redistribution des terres des fermiers blancs et d’autres politiques. On l’admire quelque part.

Joue-t-il encore de son image de héros de l’indépendance ou celle-ci s’est-elle écornée au fil des années dans les esprits ?

Oui. C’est peut-être le fait que son parti la Zanu-PF est encore un des mouvements de libération de l’Afrique. Cela joue quelque part, comme l’ANC en Afrique du Sud. Mais ces dix dernières années, depuis 2000, il s’est quand même créé un personnage très aigri contre l’Occident. Comme je l’ai dit, la redistribution des terres des fermiers blancs lui a apporté l’image de quelqu’un qui lutte pour que l’économie des Africains soit dans les mains des Africains. Et maintenant il est en train de faire une autre campagne pour que toutes les entreprises au Zimbabwe soient pour plus de 50% tenues par des Zimbabwéens. Donc il s’est refait une autre image après la guerre des indépendances.

Pourtant son bilan économique n’est pas très bon. Le taux de chômage est à 80% actuellement ?

Absolument. L’économie du pays a complètement implosé depuis 2000 parce que les Zimbabwéens se reposaient sur l’agriculture, les exportations étaient très importantes. Le Zimbabwe était un des greniers de l’Afrique. D’ailleurs les deux premières décennies de l’ère Mugabe étaient pas mal de ce côté-là. Et depuis que l’agriculture a complètement implosé, plus d’exportations, plus de devises. Donc une inflation donc très élevée.

Depuis 2008, le Zimbabwe a quand même réussi à équilibrer un peu ses finances parce que d’un côté ils ont abandonné le dollar zimbabwéen, et en même temps, des grandes mines de diamants ont été découvertes. Donc l’économie s’est rétablie un peu. Ça c’était surtout au profit de Mugabe et la Zanu-PF. Donc son bilan économique est catastrophique mais il y a des gens qui disent que c’est une étape, qu’il faut passer. Et Mugabe utilise bien sûr le fait qu’il y a des sanctions internationales contre le Zimbabwe pour dire, « nous souffrons parce qu’il y a des sanctions des Etats-Unis et de l’Europe contre nous ». Donc il a tourné ce très mauvais bilan économique en sa faveur.

Et comment expliquer qu’il s’accroche au pouvoir ? Ne doit-on pas y voir la main peut-être de ceux qui sont autour de lui, de son clan, son parti, qui profitent du statu quo ?

Absolument. C’est pour cela qu’on a voulu aussi à tout prix avoir ces élections cette année alors que le pays n’avait pas d’argent aux dernières élections. Donc c’est le parti qui voulait à tout prix avoir cette élection. Il y a aussi les généraux qui ont beaucoup profité des redistributions des terres, des diamants etc… Mais il faut aussi dire qu’il y a l’ambition personnelle de Mugabe, un « vrai animal politique ». Sa biographe Heidi Holland me disait, en fait, que la bataille très personnelle de Mugabe, c’était contre les Britanniques, contre l’ancien pouvoir colonial. Il avait quelque part beaucoup de choses personnelles à prouver : qu’il peut rester au pouvoir, qu’il est populaire. Mugabe c’est un personnage très complexe et très ambitieux.

Après les résultats, le président sud-africain Jacob Zuma a très vite tenu à féliciter Robert Mugabe. Pourquoi un tel empressement ?

Il était surtout question de se débarrasser du problème zimbabwéen pour l’Afrique du Sud. Depuis dix ans, on dit qu’il y a une crise politique au Zimbabwe qu’il faut résoudre. Maintenant qu’on a dit « Mugabe a gagné une élection crédible », on peut dire « c’est bon, on s’est débarrassé de ce problème là, on n’en parle plus ». Et puis il y a les relations personnelles : l’ancien président Thabo Mbeki avait toujours soutenu Robert Mugabe, Jacob Zuma aussi, quelque part, même s’il était un peu plus dur avec lui. On a l’impression que les chefs d’Etat de la région, qui sont beaucoup plus jeunes que Robert Mugabe, ont peur de lui. C’est lui l’aîné, c’est lui qui a mené la campagne contre les Britanniques. Donc personne n’ose ouvertement critiquer Robert Mugabe.

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