Le Zimbabwe aussi a son lanceur d’alerte. Un lanceur d’alerte très politique qui répond au beau nom de Baba Jukwa, pseudonyme qui signifie en shona « père Jukwa ».
Grand blogueur devant l'éternel, Baba Jukwa s'est illustré en dévoilant sur sa page Facebook, ouverte en mars dernier, des secrets souvent terrifiants sur les « agissements criminels » du parti dominant du pays, la Zanu-PF, et son leader mégalo Robert Mugabe. L’homme se présente comme « un père préoccupé, qui lutte contre le népotisme – un lien direct entre les citoyens et leurs leaders, les autorités, les députés et les ministres ». Le portrait qui apparaît sur la page d’accueil de son compte Facebook est celui d’un pépère inoffensif à la moustache tremblotante, qui rappelle les bandes dessinées des années 1960.
300 000 amis
En revanche, les « posts » du pépère Jukwa sont des « scuds » qui tuent. Ils racontent de long en large, mêlant le sensationnel et le sarcasme, les abus commis par les hommes de pouvoir, abus qui vont des fraudes électorales aux intimidations des opposants, en passant par des enlèvements et des tortures. L’auteur n’hésite pas à publier les numéros de téléphone des personnes incriminées, invitant les internautes à les appeler pour demander des comptes. Récemment, un ancien ministre chargé de la mise en oeuvre de la politique d'indigénisation des entreprises étrangères a déclaré recevoir pas moins de cinquante appels par jour depuis qu’il a été mis en cause pour corruption sur les pages Facebook du justicier anonyme.
Renouvelées plusieurs fois par jour, ces pages rompent avec le ronronnement de la presse officielle zimbabwéenne et ont valu à Baba Jukwa plus de 300 000 amis, quatre mois après la création du blog. C’est beaucoup quand on sait que seule une petite fraction de la population zimbabwéenne peut aujourd’hui accéder à l’internet.
Tête mise à prix
Mais qui se cache derrière ce Robin des Bois des réseaux sociaux ? Tout Harare bruit de rumeurs sur l’identité de cet opposant invisible qui tient en haleine la classe politique, en révélant à la population leurs malversations. Dans une des rares interviews accordées à un quotidien zimbabwéen, l’impétueux bloggeur s’est déclaré être un haut responsable de la Zanu-PF, avec pour principales sources d'information ses nombreux collègues, tous bien placés et tous sympathisants de la cause de la moralisation du régime. Difficile de vérifier l’information, mais toujours est-il que depuis la publication de l’interview, il est très mal vu lors des réunions officielles du parti tout-puissant du président omnipotent de quitter la salle de réunion, même pour aller faire pipi, de peur d'être accusé d'être un agent de Jukwa. Signe que ce blogueur impertinent dérange, Mugabe aurait annoncé une récompense de 300 000 dollars à quiconque réussirait à mettre la main sur lui. Le régime aurait même loué les services des hackers les plus doués de la planète pour le démasquer.
L’acharnement de Mugabe et son entourage contre Baba Jukwa est à la mesure de la gravité des accusations portées contre le régime par ce dernier. Son fait d’arme le plus spectaculaire a sans doute été la mise en garde lancée en juin à un député par trop critique à l’égard du pouvoir. Celui-ci avait commandité un rapport sur la gestion ô combien sensible du secteur d’extraction des diamants, haut lieu de marchandages et de corruptions. La voiture du député Chindori-Chininga a percuté un arbre quelques jours après la publication du rapport accablant pour les proches du président !
Les pages Facebook de Baba Jukwa ont également joué un rôle actif dans la campagne électorale, en appelant les Zimbabwéens à s’inscrire sur les listes électorales. Elles avaient mis en garde contre les tentatives de truquages et de bourrages d’urnes. Les élections ont eu lieu depuis, avec le résultat que l'on sait. Les Zimbabwéens sont nombreux à penser que c’est peut-être parce que le camp Tsvangirai n’a pas pris assez au sérieux les mises en garde de cette « voix des sans voix » que Mugabe peut continuer à sévir sur la vie politique de son pays.