Pierre Vermeren sur RFI: «La pédophilie est dans le collimateur de la société civile des islamistes au Maroc»

Au Maroc, la libération il y a quelques jours d’un pédophile espagnol multirécidiviste et condamné à trente ans de prison fait scandale. Daniel Galvan Vina avait été jugé coupable pour une série de viols sur onze mineurs et il a été relâché à la faveur d’une grâce royale, ce qui a provoqué un véritable tollé à tel point que le roi du Maroc Mohammed VI a dû revenir sur sa décision. Retour sur cette affaire avec Pierre Vermeren, historien et spécialiste des sociétés du Maghreb.

RFI : Pourquoi le souverain avait-il accordé sa grâce ?

Pierre Vermeren : Il s’agissait d’une grâce collective de détenus espagnols, essentiellement prisonniers de droits communs pour trafic de drogue. Et au milieu de cette liste, s’est glissé un pédophile notoire qui a été condamné à trente ans de prison. Il est très probable qu’il ait été embarqué avec l’eau du bain pour montrer un geste d’amitié à l’Espagne puisque le roi du Maroc venait de visiter le roi d’Espagne. Après il se greffe là-dessus des histoires compliquées, puisque d’après le site internet d'information marocain Lakome, ce personnage aurait été aussi une sorte d’agent des services espagnols. Mais en tout cas, le scandale au Maroc vient essentiellement du fait qu’il s’agit d’un pédophile notoire et la pédophilie est dans le collimateur de la société civile et aussi des islamistes depuis quelques années au Maroc.

Lorsque le palais dit ne pas être au courant de la gravité des crimes pour lesquels cet Espagnol, Daniel Galvan, avait été condamné, est-ce que cela vous paraît plausible ?

C’est plausible dans la mesure où au Maroc tout ce qui relève de l’exécutif remonte au roi. Cela fait quand même, pour un Etat de 35 millions d’habitants, beaucoup de décisions à prendre et que là, la décision était politique. Encore une fois, il s’agissait de faire un petit cadeau à l’Espagne dans le cadre d’une grâce qui est une compétence du monarque marocain, qui en fait d’ailleurs ou deux par an, souvent pour des prisonniers marocains. Donc c’est probablement le Palais royal, au sens le Cabinet royal ou bien l’officine s’occupant des affaires judiciaires qui a pris cette décision. Décision signée bien sûr par le roi, puisque c’est lui qui a le droit de grâce. C’est quelque chose de possible, mais évidemment la responsabilité impute malgré tout à la signature. C’est pourquoi d’ailleurs le roi a dit « je n’étais pas au courant et donc je suis revenu sur cette décision qui est annulée ».

Le Maroc a besoin de cajoler l’Espagne aujourd’hui ?

Même dans les deux sens, parce que ce sont deux pays qui ont des relations complexes, qui sont pratiquement frontaliers autour du détroit de Gibraltar, qui sont très fortement touchés par la crise économique, même si pour le Maroc c’est relativement moins connu et moins visible que pour l’Espagne. Ce sont des pays aussi qui ont des tensions frontalières liées au préside espagnol dans le nord du Maroc, à la question de l’immigration, à la question de la drogue. Il y a aussi le soutien toujours ambigu de l’Espagne à la cause sahraouie. Tout cela fait un fond de relations complexes. C’est la volonté aujourd’hui un petit peu des chefs d’Etat et notamment des rois de sortir par le haut, d’où l’idée de faire un geste favorable, positif pour améliorer ces relations. En ce qui concerne les affaires marocaines, ça a tapé à côté de la cible.

Ce rapprochement avec l’Espagne se fait-il au détriment de la France ?

C’est souvent ce qu’on dit. Mais l’Espagne et la France restent les deux premiers partenaires économiques du Maroc, il faudrait peut-être rajouter l’Arabie saoudite pour ce qui est des transferts financiers. Non, il y a vraisemblablement de la place pour les deux pays et même pour d’autres pays européens. Ce n’est pas tellement le problème. De temps en temps, la France est premier partenaire commercial du Maroc, premier investisseur. Parfois l’Espagne lui ravit la place, mais ce n’est pas très important. Ce qui est plus ennuyeux, c’est l’état des économies espagnoles et secondairement marocaines qui sont actuellement beaucoup à la peine notamment pour des questions financières, qui manquent de capitaux, qui manquent de financements. Et tout ce qui peut contribuer à doper un peu ces économies ne peut être que positif parce que la situation sociale et donc politique est très volatile actuellement.

Dans cette affaire, des associations marocaines de défense des droits de l’homme ont prévu une nouvelle manifestation cette semaine. Est-ce que cela pourrait être l’amorce d’un soulèvement plus large contre la monarchie ?

C’est très prématuré de voir les choses de cette manière. Simplement ce qui est certain, c’est qu’on est dans une période encore une fois de volatilité. On est en plein été, à quelques jours de l’Aïd, de la fin du ramadan. Il fait très chaud. La situation économique n’est pas bonne. Il y a une crise politique qui traîne autour des ministres de l’Istiqlal (démissions en série de ministres début juillet au Maroc, Istiqlal est le principal allié des islamistes au pouvoir), donc la décision du roi s’explique bien justement parce qu’on veut absolument empêcher qu’il y ait des prétextes extérieurs pour mettre de l’huile sur le feu.

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