RFI : Quel sens cela a-t-il pour vous de recevoir, à près de 84 ans, ce passeport de citoyenneté universelle ?
Albert Tévoédjéré : D’abord c’est une très grande surprise. Il y a beaucoup d’Africains, de militants des droits de l’homme. Ils auraient pu trouver quelqu’un de très bien.
Vous vous considérez comme un citoyen du monde ?
Absolument, un citoyen ordinaire. C’est le soldat inconnu à qui l’on rend hommage. Il est heureux que je sois un Africain et que j’ai la chance de représenter cet homme-là.
L’appel que vous lancez aujourd’hui s’intitule « Par-delà les frontières ». Comment, concrètement dépasse-t-on les frontières, notamment en Afrique, quand on sait que la souveraineté nationale est la base et le fondement des relations entre les Etats ?
Je vois qu’aujourd’hui en Europe il y a une citoyenneté européenne. Il y a cinquante ans ce n'était pas le cas. Il y a cinquante ans, Kwame Nkrumah (ancien Premier ministre et président ghanéen, panafricaniste, ndlr) disait : « Ayons une vision globale de notre Afrique, ayons une citoyenneté africaine ». L’espérance lancée à ce moment-là par Kwame Nkrumah est aujourd’hui vitale pour l’Afrique, pour l'Union africaine.
Et par conséquent, si l’Europe arrive à avoir une souveraineté européenne, la citoyenneté africaine est un mandat, par-delà les frontières.
Aujourd’hui en fait, la citoyenneté universelle est menacée par la peur ! La peur de l’autre, la peur de la différence, la peur de la religion, la peur de l’insécurité, etc. Donc, il faut arriver à créer plutôt un code de vivre ensemble. Et ce code de vivre ensemble est possible.
Et Stéphane Hessel, précisément, a lancé des appels importants ; que tout homme, tout citoyen, peut s’établir et quitter un pays par sa propre volonté. Et par conséquent, ce n’est pas une utopie, une chimère ! C’est quelque chose qui se fait en Europe, qui peut se faire en Afrique, qui peut se faire dans le monde et qu’on a prévue. Or, on a manqué d’audace jusqu'à présent ! On a eu peur !
Ce passeport, pour le moment, a une valeur symbolique. Est-ce que le symbolique c’est important dans les combats que l’on mène ?
Absolument. Qui aurait pensé aujourd’hui, qu’entre l’Allemagne et la France il y aurait cette proximité, cette intimité, quand on a vu la guerre. J’ai 84 ans, j’ai vu comment les Français et les Allemands se haïssaient. Il y a eu des Charles de Gaulle, des Konrad Adenauer, il y a eu des symboles forts importants. Et puis il y a eu la réalité quotidienne, qui fait que nous avons besoin de vivre ensemble, sur une Terre qui finalement est petite ! Etre ensemble est une chose non seulement noble, mais réaliste aussi. Il faut arriver à ce que nous puissions le faire. Hessel a dit : « Les frontières sont faites pour être dépassées ».
Vous évoquez Stéphane Hessel. Il y a deux ans, il vous avait remis la Légion d’honneur, en France. Est-ce que c’est quelqu’un qui vous inspire ?
Bien sûr. C’est un homme qui représente le respect, la dignité, la justice. Et la non violence !
Qu’est-ce qui vous indigne aujourd’hui ?
Ce qui m’indigne aujourd’hui, c’est l’incapacité de dépasser nos différences. Et j’ai insisté beaucoup sur le dialogue inter-religieux. Je trouve que l’un des blocages importants du passeport de citoyenneté universelle, c’est la peur de l’islam ! C’est l’islamophobie ! C’est la difficulté entre chrétiens et musulmans à se parler.
Et donc, je voudrais m’engager beaucoup, à montrer que dans chaque religion il y a de quoi s’admirer. Et on peut se retrouver. Lorsque la foi d’Abraham nous réunit, il n’y a pas de raison que l’on ne puisse pas nous entendre.
La paix aujourd’hui est menacée par quoi essentiellement ? Afghanistan, Moyen-Orient, Mali et tout ce que vous voulez. C’est Boko Haram… Tout ça, c’est l’islam mal compris, mal vécu.
En Indonésie, le pays le plus musulman du monde, on ne coupe pas les bras parce qu’on a volé ! Par conséquent, c’est une interprétation restrictive, abusive du Coran, qui conduit à des actes de terrorisme.
Au Mali justement, vous avez été médiateur dans de très nombreux conflits, dans de très nombreuses situations. Qu’est-ce qu’il faudrait faire, selon vous ?
Je crois qu’il faut faire ce que l’on fait là, parce que c'est une question de sécurité. Mais il faut surtout que culturellement, les gens s’acceptent. Le peuple malien est un grand peuple, qui a une façon de vivre l'islam depuis très longtemps. Ils n’ont pas besoin qu’on vienne aujourd’hui leur prêcher un autre islam ! Et par conséquent, il faut donner une réponse à cette question mal posée !
Comment voyez-vous votre avenir politique ?
Je n’en ai plus. J’ai un avenir de conseil, un avenir d’accompagnement, un avenir de prière, un avenir d’héritage à façonner avec d’autres, pour que la jeunesse africaine se reprenne. Ce qui se passe en Afrique aujourd’hui m’effraie, en ce qui concerne le travail, en ce qui concerne la discipline. L’ennemi de ce peuple c’est sa haine, l’indiscipline et l’indolence.
Alors il faut absolument que nous sortions de là. Il faut que nous disions : non ! A ce qui nous dévalorise, et que très vite nous reprenions le chemin, et du travail et du renoncement à tout ce qui n’est pas nécessaire, et qui par contre, manque à beaucoup de gens.
Vous annoncez votre retrait du poste de médiateur de la République du Bénin ?
Le 30 septembre prochain je n’y suis plus. J’ai averti le président, nous sommes d’accord. Donc, le 8 septembre j’aurai la chance de célébrer mes 60 ans de mariage et le 30 septembre, j’aurai la chance de serrer la main de mes collaborateurs et de leur souhaiter bonne chance !