Ramtane Lamamra: «Prétendre tenir en échec la communauté internationale, c’est perdu d’avance»

République démocratique du Congo, Centrafrique, Madagascar ... L'Union africaine intervient dans plusieurs crises emblématiques sur le continent. En marge de la rencontre célébrant les cinquante ans de l'organisation à Addis-Abeba, son commissaire à la Paix et à la Sécurité, Ramtane Lamamra, décrypte les enjeux de ces dossiers et les solutions que son organisation espère voir émerger.

RFI : La reprise des combats au Nord-Kivu, entre l’armée congolaise et les rebelles du M23, constitue une grave crise. Etes-vous inquiet ?

Ramtane Lamamra : Oui. Je sais que le secrétaire général des Nations unies est dans la région. Le M23 est divisé, il a perdu de sa substance, mais aussi de ses soutiens. S'il a été amené à reprendre les armes, c’est d’une certaine manière un aveu d’échec, une preuve que le M23 ou ceux qui ont pris cette décision malheureuse de recours aux armes, persistent dans l’erreur : il n’y a pas de solution militaire dans cette région.

L’accord-cadre a déclenché une dynamique à travers une démarche cohérente. Le recours à la force militaire, à travers la Monusco, renforcée par la future brigade d’intervention, n’est que l’argument ultime. Il existe et, bien sûr, il va servir. Mais le pari doit se faire sur des solutions durables, justes, aux causes sous-jacentes de ces conflits.

Cette nouvelle offensive des rebelles n'est-elle pas un message aux casques bleus, au moment où ils évoquent cette nouvelle brigade ? « Attention, ne vous mêlez pas de nos affaires », semblent-ils vouloir dire.

Oui, c’est tout à fait possible. Mais c’est assez dangereux comme jeu. Les Nations unies ont fait évoluer la doctrine du peace keeping, du maintien de la paix. En décidant de la création de cette force d’intervention rapide, le recours à la force est autorisé, soit avec les forces conventionnelles congolaises, soit seule. C'est une évolution très importante.

Prétendre maintenant, pour une rébellion armée, qu’il y aurait moyen de tenir en échec la volonté de la communauté internationale, je crois que c’est un pari perdu d’avance.

Croyez-vous que les soldats tanzaniens et autres, qui arrivent en ce moment, sont capables de faire mieux que leurs collègues casques bleus, qui sont là depuis dix ans ?

Oui, parce qu’il s’agit de la nature du mandat, il s’agit de la manière dont ils sont commandés, il s’agit également des équipements et de la logistique qui sont mis à leur disposition. Ces soldats du Malawi, de la Tanzanie, d’Afrique du Sud, savent pourquoi ils viennent : la région et la communauté internationale veulent du changement.

Autre territoire déchiré : la Centrafrique. Le siège du pays ne sera pas occupé au prochain sommet. Michel Djotodia est prié de ne pas venir. Quel est votre message à la Seleka ?

La Seleka est mise devant une épreuve historique. Elle a renversé un chef d’Etat, au motif que les choses n’allaient pas bien. Nous voyons que pendant toutes ces premières semaines de la prise du pouvoir par la Seleka, les choses ont été pires pour les populations civiles. Les viols, les atrocités, les pillages, les règlements de compte se sont multipliés. Il y a une responsabilité historique de la part des chefs de la Seleka.

Nous notons d’abord que les autorités, de facto, ont accepté le principe selon lequel les transitions doivent être aussi courtes que possible. Monsieur Djotodia parlait de trois années lorsqu’il a pris le pouvoir. Aujourd’hui, tous les acteurs acceptent dix-huit mois, une moyenne suffisante pour réaliser des élections démocratiques et transparentes, au vu de l’expérience d’autres pays africains.

Deuxièmement, nous ne sommes pas absents de l’œuvre de redressement qui est nécessaire, et nous serons là également pour accompagner la RCA dans son oeuvre de reconstruction post-crise, et ce au-delà même de cette échéance électorale capitale.

A Madagascar, malgré toutes les pressions de la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC), de vous-mêmes -l’Union africaine (UA)- et de l’Europe, MM. Rajoelina et Ratsiraka, ainsi que Mme. Ravalomanana, refusent de se retirer de la présidentielle de juillet prochain. Que pouvez-vous faire ?

Nous avions bon espoir que cette fois-ci serait la bonne. Puis ces candidatures inattendues ont eu pour effet de brouiller les cartes.

Vous gardez espoir de convaincre ces trois personnalités de renoncer ?

Oui. Le retrait de ces trois personnalités est de nature à créer l’apaisement souhaitable et à permettre au jeu démocratique de se poursuivre sans que les résultats de cette importante échéance ne soient prédéterminés par des machinations électorales.

Et s’ils ne se retirent pas ? Faut-il couper l’aide à l’organisation du scrutin, comme le pensent de plus en plus d’Européens ?

Nous n’en sommes pas là encore. Cette menace est sérieuse, le secrétaire général des Nations unies a fait une déclaration publique après consultation avec la SADC et l'UA. Il ne s’agit pas d’une déclaration à l’emporte-pièce. Donc, les menaces sont sérieuses.

J’espère que nos sœurs et frères à Madagascar sauront les prendre au sérieux. Au-delà de cette élection, un élu ou une élue privé(e) de légitimité régionale, continentale, internationale ne ferait qu'entraîner une contestation de son élection, faute de crédibilité.

De plus, je ne peux que m'inquiéter que la rue ne « chauffe » pendant et après l'élection, ce qui est tout sauf souhaitable. Epargnons-nous tout cela et faisons en sorte que, même s’il faut mettre un peu du sien, quitte à perdre un petit peu la face, l'on puisse doter le peuple malgache de son droit souverain de choisir ses dirigeants.

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