RFI : Obtenir la fin des infanticides rituels au sein des communautés, ça a été difficile ?
Vieve Easton Pool : Ca a été difficile et long. On travaille dans ces communautés depuis une dizaine d’années. Ce qu’on a fait, c’est impliquer tous les acteurs locaux pour essayer de changer ces croyances traditionnelles. Notre équipe au Ghana vient de la communauté locale. Ils ont travaillé avec les familles, avec le gouvernement local, et même avec les guérisseurs traditionnels qui perpétraient cet infanticide pour changer la vie de la communauté contre ces enfants.
A quand remonte cette pratique de l'infanticide sur les handicapés ? Pourquoi s'en prendre à eux ?
On ne sait pas exactement depuis combien de temps cette pratique existe, parce qu’il n’y a pas d’archives écrites mais une histoire orale. On sait que ça fait au moins quelques générations que ça existe. Selon les théories, il est plus difficile de s'occuper de certains enfants parce qu’ils sont handicapés ou parce que leur mère est morte à la naissance. Nous pensons que ces croyances traditionnelles ont évolué parce que c’était une méthode pour surmonter ces difficultés. Les gens ont commencé à croire qu'un handicapé n'était pas un enfant, mais plutôt un enfant sorcier, un esprit envoyé pour apporter du malheur à la famille.
Dans ces communautés, les crimes étaient-ils courants ? Etaient-ils perpétrés à chaque fois qu’un enfant naissait handicapé, ou était-ce devenu de plus en plus rare ?
C’était très courant. Il n’y a pas beaucoup de statistiques, parce que c’était toujours clandestin. Mais l’Organisation mondiale de la santé estime que dans cette région, un quart des morts d'enfants survenues dans les années 1990 était lié à des infanticide.
On parle d'enfants qui coûtaient cher à leur famille. Ca a dû être une donnée importante dans votre travail, n'est-ce pas ?
Oui, exactement. Mais en fait, c’est la médecine moderne qui nous a aidés à changer les attitudes contre ces enfants. Quand on a commencé à travailler avec les communautés, notre équipe a circulé avec des infirmières qui ont pu poser des questions sur ces « enfants sorciers » et expliquer les raisons scientifiques pour ces maladies ou ces handicaps.
L'argument médical, est-ce le seul que vous avez utilisé pour convaincre les communautés ?
L’argument médical nous a beaucoup aidés à convaincre que ces enfanst étaient des humains et non des sorciers ou des esprits. En fait, au début, on a cherché à impliquer des guérisseurs traditionnels. Au cours de notre première année de travail, on a convaincu trois guérisseurs que ces enfants n’étaient pas des sorciers ou des esprits. Au début, ils avaient peur qu’on les dénonce à la police. Gagner leur confiance et travailler avec eux a pris du temps.
Mettre un terme à une tradition, revenir sur des croyances très fortes, c’est un véritable bouleversement pour une communauté !
Exactement, et c’est pour cela que ça a pris une dizaine d’années. Ce qui a eu beaucoup de succès par exemple, c’est d’établir des sociétés des droits de l'enfant dans les écoles, pour qu'ils comprennent leurs droits et éduquent leurs parents et leur communauté en jouant dans des pièces et en faisant des chansons pour leur expliquer que cette pratique n’est pas correcte.
Vous avez récemment fêté la fin de ces crimes rituels avec les communautés concernées. Sont-elles satisfaites d’y avoir mis un terme ?
Oui. Chez cette communauté, notre équipe au Ghana connaît chaque guérisseur. Ils sont tous dans une association où ils reçoivent des prêts de micro-finance. Chaque fois qu’un enfant nait avec des handicaps ou des maladies, ils appellent notre équipe. Cette fête, c’était les communautés qui l’ont planifiée, qui l’ont organisée, pas nous. Et nous sommes très satisfaits que dans ces communautés, ça fait trois ans qu'on n’a pas eu un cas d’infanticide.
Les microcrédits, c’est une façon pour les guérisseurs de gagner de l’argent autrement ? Parce que guérisseur, c’était un vrai travail avant.
Exactement. Quand ils ont accepté d’arrêter de faire cette pratique, ils ont perdu des revenus. Alors, on leur a prêté de l’argent, on a fait des microcrédits pour les aider à augmenter leurs moyens d’existence. On a aussi utilisé la micro-finance dans la communauté avec les femmes, pour les aider à s’occuper de leurs enfants. Et comme cela, dans le futur, on réduit la tentation de tuer un enfant parce qu'il coûte trop d'argent.