Quatorze ans qu’il préside aux destinées de l’Algérie. Pour Abdelaziz Bouteflika, 76 ans, sa mission est arrivée à son terme. Du moins, c’est ce qu’il avait dit l’an dernier à Sétif.
« Je m'adresse aux jeunes qui doivent prendre le témoin, car ma génération a fait son temps, a-t-il expliqué. L'heure de la retraite a sonné pour les anciens, qui ne peuvent plus gérer les affaires du pays. [...] Ceux qui ont libéré le pays vous disent : "Nous n'avons plus la force pour continuer. Le pays est entre vos mains, prenez-en soin" ».
Ce discours a été entendu à l’époque comme le passage de témoin de celui que les Algériens appellent familièrement « Boutef » aux jeunes générations. Affaibli par la maladie depuis plusieurs années, le flamboyant ministre des Affaires étrangères de Boumediene ne serait plus que l’ombre de lui-même aux dires de ses visiteurs. Dès lors, son retrait de la vie politique apparaît comme une issue aussi proche que normale.
Et puis voilà qu’ici et là, en Algérie, des inconditionnels du vieux président ne se résoudraient pas à son départ. On a vu ses partisans déployer des banderoles : encore, ce vendredi 29 mars, au stade du 5-Juillet lors du quart de finale de la coupe d’Algérie, un calicot a été déployé sur la pelouse appelant à un « 4e mandat pour Bouteflika » pendant que des portraits du président étaient brandis dans les tribunes.
Fin de règne
Exaspérés par ces initiatives, trois personnalités algériennes sont montées au créneau pour dire tout le mal qu’elles en pensaient. Ahmed Benbitour, ancien Premier ministre et candidat déclaré à la présidentielle de 2014, Sofiane Djilali, président du parti Jil Jadid, et Mohamed Mechati, figure historique de la révolution, ont lancé une alliance destinée à empêcher toute velléité de quatrième mandat pour le président mais aussi de prolongation de son mandat actuel.
Dans tous les cas de figures, cela imposerait une modification de la Constitution, ce à quoi s’opposent farouchement Ahmed Benbitour et ses amis. Une opération qu’avait déjà réalisée en 2009 le locataire du palais d’El-Mouradia, siège de la Présidence, situé sur les hauteurs d’Alger, pour pouvoir briguer un troisième mandat, alors que dans l’ancienne version, seuls deux mandats successifs de 5 ans étaient possibles.
À Alger, les maux inhérents à toute fin de règne que sont la corruption et les luttes intestines, sont plus que jamais en cours. Autant de dérapages qui alimentent sans peine le bilan calamiteux que fait Ahmed Benbitour des quatorze années du pouvoir de Bouteflika. L’ex-chef de gouvernement souligne la nécessité d’un « changement urgent et pacifique » sinon, avertit-il, si rien n’est fait, on risque « une explosion populaire ».
Mais avant que ne se réalise cette prédiction, personne ne parvient à obtenir un semblant de certitude sur les intentions réelles du président Bouteflika. Alors que le journal arabophone El Khabar rapportait les propos d’un proche de la présidence assurant que le président ne voulait pas rester au pouvoir, un autre confiait au même journal qu’il pourrait bien se représenter « si le peuple le lui demandait ».
Des partis par dizaines
L’art de brouiller les messages n’est pas le moindre talent des politiques algériens. Et dans cet épisode particulier, la démonstration est encore une fois magistrale. Ici on emploie la technique bien connue du ballon d’essai : le président dit qu’il renonce. Un, on attend pour voir si cela provoque un vrai mouvement de soutien populaire. Deux, on surveille les candidats qui, voyant le terrain dégagé, vont se déclarer.
À moins que cette fois, Bouteflika ne jette définitivement l’éponge, conscient de sa faiblesse et ne souhaitant pas servir d’homme de paille à ceux qui voudraient envers et contre tout faire durer le système.
Les Algériens attendent du changement, mais ils semblent aussi sans illusion : moins d’un électeur sur deux est allé voter lors des dernières élections locales de 2012. Et qui leur donnerait tort, quand on voit l’état dans lequel sont les partis politiques traditionnels minés par les querelles, les affaires et les successions périlleuses.
Leur multiplication, plus de 40 nouveaux partis politiques ont obtenu leur agrément en 2012, ne contribue certainement pas à clarifier la situation. À un an de la présidentielle, l’avenir reste illisible avec comme seul point défini à l’horizon : la révision constitutionnelle promise par Bouteflika pour la fin de l’année. Mais là aussi, les retards s’accumulent, les oppositions se multiplient, à tel point que d’aucuns se demandent si elle aura jamais lieu.