Michelle Bachelet : «Les inégalités sont une réalité pour beaucoup de femmes dans le monde»

Ancienne présidente du Chili, Michelle Bachelet est depuis 2010 la directrice exécutive d'ONU Femmes. A l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, elle évoque cette structure encore récente, ses missions, ses priorités et les progrès qu'elle a pu constater sur le terrain auprès des femmes du monde entier. Un entretien mené par Claire Martin, la correspondante de RFI au Chili.

Claire Martin : Michelle Bachelet, vous êtes la secrétaire générale et directrice d’ONU Femmes. Pourquoi les Nations unies ont-elles créé cet organisme en 2010 ?

Michelle Bachelet : Je pense que c’est en partie parce que l'ONU avait une dette historique envers les femmes, en partie parce que les femmes se sont mobilisées à travers le monde pour appeler la communauté internationale à réagir à la situation de profonde inégalité qui les touche. Jusqu’à ce jour, 800 femmes meurent chaque jour en raison d’une grossesse ou de la naissance d’un enfant, seulement un parlementaire sur 5 est une femme dans le monde, 53% des femmes qui travaillent dans le monde ont un emploi précaire... Bref, je pourrais continuer à donner bien des indicateurs qui montrent que les inégalités, malgré les avancées, continuent malheureusement d’être une réalité pour un nombre très important de femmes dans le monde. Pour pouvoir progresser, il était donc nécessaire de créer une entité qui ait un rôle politique plus important et qui ait le statut et le poids au sein des Nations unies, le même que d’autres entités, comme celles qui travaillent avec les enfants, ou avec le développement. Et ceci, sachant que l’égalité des sexes sera seulement possible si les femmes ont les moyens d’avancer dans les deux domaines les plus importants qui sont politiques et économiques, dans la lutte contre la violence dont elles sont victimes, et dans leur participation aux processus de paix et de sécurité, dans la résolution des conflits.

Quelle est la mission d’ONU Femmes ?

Nous avons trois mandats clairs : d’abord, un mandat normatif, tout ce qui a à voir avec les accords internationaux, les conventions, les traités, inclure la perspective de l’égalité des genres. En ce moment par exemple, nous avons la commission sur le statut de la femme qui porte cette année sur la violence faite aux femmes. Mais nous avons aussi un mandat opérationnel, donc de terrain. Partout, nous faisons la promotion de la participation politique des femmes, que ce soit au niveau local, parlementaire ou national. Par exemple, en Libye, nous avons participé d’un côté à inciter les femmes à aller voter lors de cette première élection démocratique, mais aussi à inciter les femmes à se présenter comme candidates et à ce qu’elles soient élues. Et finalement, dans un système qui comprenait une part de quotas, 16% de femmes ont été élues, ce qui n’est pas mal pour une première élection, dans un pays où les femmes vivaient dans une situation de dépendance. De plus, nous mettons en avant des actions d’ordre économique parce que nous savons que soutenir l’indépendance économique de la femme lui offre des alternatives. Si une femme est victime de violences et reste à la maison parce qu’elle n’a pas où vivre ailleurs elle et ses enfants, avoir un revenu lui offre des alternatives. Si une femme a été victime de déplacements non désirés ou de violences sexuelles dans un conflit, la possibilité dans un avenir proche d’avoir un revenu va également lui ouvrir des alternatives. En plus, nous savons que lorsqu’une femme a un revenu, elle en consacre 90 % à la santé, à l’éducation et à la sécurité alimentaire, donc non seulement elle va mieux mais sa famille va mieux. Ce sont des petits projets, comme au Liberia où nous soutenons une initiative sur plusieurs années de 3 millions de dollars, de création d’espaces sur les marchés, permettant aux femmes qui y travaillent, de garder leurs enfants en bas âge dans de bonnes conditions, avec des programmes d’alphabétisation pour leur permettre de négocier, de vendre et de commercer dans de meilleures conditions.

Vous êtes allée au Mali en janvier 2013. Que pensez-vous de l’intervention militaire de la France ?

Ma visite au Mali s’est déroulée la veille de l’entrée des forces armées françaises. Et à Bamako, j’ai eu l’opportunité de discuter, de connaître et d’écouter les horribles expériences de ces milliers de femmes déplacées du Nord à cause de ces forces, fondamentalistes pour la plupart, qui ne croient pas dans l’égalité des femmes, et qui les ont soumises, elles et leurs filles, à des mariages forcés, à des viols, à des mauvais traitements physiques et les ont obligés pour beaucoup à se déplacer vers la capitale. Et je suis sûre que ces femmes ont apprécié le soutien que le gouvernement français a offert au Mali à la demande du président malien, afin que la violence et la guerre puissent être éradiquées du pays.

Vous dirigez ONU Femmes depuis deux ans et demi, quelle est votre plus grande réussite ?

En si peu de temps il est impossible de changer en profondeur les mentalités, les conditions sociales et culturelles. Je retiendrai donc un grand concept : nous avons réussi à installer dans l’agenda international l’égalité des sexes et l’autonomisation de la femme comme une priorité fondamentale. Il est peu concevable qu’il y ait aujourd’hui une seule discussion internationale qui n’ait pas ou n’inclut pas cette perspective.

Quelle histoire vous a le plus marqué, s’il fallait n’en choisir qu’une ?

Beaucoup d’histoires m’ont marqué. J’ai connu une quantité incroyable d’héroïnes, de femmes courageuses, mais j’aimerais en mentionner quelques-unes. Le cas de Malala, cette jeune fille pakistanaise qui depuis très jeune luttait pour le droit à l’éducation et qui a été victime d’un attentat brutal. Ou le cas de cette jeune femme qui est décédée suite à un viol collectif à New Delhi ou ces femmes qui ont été sur la place Tahrir pendant le Printemps arabe. Elles sont multiples ces femmes qui donnent envie de continuer à lutter. Il est inconcevable que le monde se perde ces immenses capacités, cet immense courage, et cette immense force pour construire un monde meilleur pour tous.

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