Au Fespaco, l’Angola déroule son histoire en compétition

Comment raconter l’histoire de cette ancienne colonie portugaise ? Deux films en lice pour l’Etalon d’or du 23e Fespaco emploient un récit plus ou moins autobiographique. Dans O Grande Kilapy (Le Grand Kilapy), Zézé Gamboa narre sur un ton délicat et léger l’époque grave de la dictature Salazar jusqu’à l’indépendance en 1975. Por aqui tudo bem de Pocas Pascoal prend la relève et nous fait vivre avec une grande maîtrise l’épopée de deux jeunes sœurs angolaises qui débarquent à Lisbonne en 1980, fuyant la guerre civile d’Angola.

Beau gosse, beau parleur et doté d’un charme fou, Joazinho a tout pour séduire les femmes. Et il en profite. Envoyé par ses parents pour étudier à Lisbonne, il ne veut rien savoir de la politique. Malgré la dictature de ces années 1960, il mène une vie douce peuplée de fêtes arrosées et d'escapades amoureuses. A la maison des étudiants, il se retrouve, malgré lui, au cœur du mouvement révolutionnaire pour la libération de l'Angola (MPLA). Sans le vouloir, Joazinho participe à sa manière à la lutte pour l’indépendance et l’égalité. En tant que Noir, il roule dans les plus belles bagnoles, couche sans complexes avec les femmes blanches tant désirées par les Portugais. Et tant pis si c’est la fille d’un ministre… Bien sûr, il ne sortira pas indemne de cette soif de jouissance. N’empêche, avec galanterie, il brave les interdits, enchaîne les tromperies (d’où le titre « Kilapy » qui signifie « arnaque ») et les histoires d’amour qui ébranleront le système de valeurs des colonialistes.

Zézé Gamboa nous surprend avec une sorte de James Bond angolais, qui a moins l'ambition de tuer, que de servir l’amour et l’indépendance. Le récit cinématographique coule délicatement, comme les chansons de salsa et de fado qui nous font revivre les standards d’une génération et l’atmosphère à la fois lourde et légère d’une époque. C’est drôle et amusant, sans faire l’impasse sur la terreur de la dictature Salazar. Quelques scènes d’interrogatoires musclés suffisent à nous faire sentir les intimidations, le flicage et l’oppression omniprésente d’un régime prêt à tout pour dominer la colonie rebelle et ses ressortissants.

« Por aqui tudo bem »

Dans un tout autre registre, la réalisatrice angolaise Pocas Pascoal enquête sur l’histoire tragique de l'Angola après l’indépendance. « Ils voulaient leur indépendance et maintenant ils s’entretuent et débarquent chez nous ». On est en 1980, les deux sœurs Alda et Maria, 16 et 17 ans, sont envoyées par leur mère à Lisbonne pour ne pas devenir de la chair à canon et échapper à la violence de la guerre civile dans l’ancienne colonie. Le père, médecin, a déjà été assassiné, la mère, accusée d’activités subversives, craint pour leur vie et veut les rejoindre le plus vite possible. Mais le destin en décide autrement. Abandonnées et renvoyées à elles-mêmes, elles sont confrontées aux blessures, à la haine et la détresse engendrées par l'histoire coloniale qui ne passe pas et à une guerre civile qui s’éternise.

Por aqui tudo bem, cette histoire, la réalisatrice l’a personnellement vécue. Peut-être est-ce pour cela qu'elle réussit à nous faire vivre une histoire dense et bouleversante sans aucun artifice cinématographique. Le prix à payer pour le spectateur, c’est une exhaustivité quasi documentaire dans la description qui épuise parfois l’attention, mais enrichit finalement le récit. La caméra suit les deux sœurs errant avec leurs valises dans la ville et nous avec. Avec un cadrage rigoureux et des travellings sobres, Pocas Pascoal nous envoie dans les ruelles de Lisbonne pour suivre les méandres d’une histoire aussi individuelle que collective, partagée par l’Angola et le Portugal.

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