« Androman »
Azlarabe Alaoui Lamharzi apparaît en pull rouge et avec une queue de cheval sur scène. Visiblement ému de participer au Fespaco, il dit ne pas vouloir tenir un grand discours. « C’est ça », assène quelqu’un dans le public et renvoie le réalisateur à sa place.
Son film Androman… De Sang et de charbon commence en feu et en flammes avec un rythme effréné. La première scène est un accouchement qui se déroule en plein milieu d’une forêt sauvage. Ouchen, le père, descendant d’une famille modeste de charbonniers, aspire à un fils, qu’il n’aura jamais. A défaut, son père, avant de mourir, lui demande alors de nommer le nouveau-né Androman et de lui apprendre le métier ancestral de charbonnier.
Le drame qui suit prend corps dans un petit village au pied de l’Atlas. Les femmes y sont opprimées et n’ont pas droit d’hériter de la terre. Tout cela pousse Ouchen à forcer le destin et à transformer sa fille en homme. Mais qu’est-ce qu’un homme ? Qu’est-ce qu’une femme ? Quelle est leurs places respectives ? A l’époque des transgenres, des mariages gays et des fondamentalismes religieux, ce sont des questions tout à fait pertinentes. Et la mise en scène commence plutôt bien. L’accouchement sauvage laisse la place à la poésie : une fille perchée en haut d’un arbre pour alerter son père au cas où le méchant gardien de la forêt apparaîtrait.
Dommage que le film ne trouve jamais son rythme. Les images tournées au pied de l’Atlas se perdent dans la multiplication des expériences formelles : travellings incessants, rafales de photos gratuites, grands plans démonstratifs, accélérations inutiles jusqu’à une hache qui vole au ralenti vers sa cible… Beaucoup de scènes sonnent faux et la bande son, remplie de violons, trombones, trompettes et accompagnée d’un chœur qui frôle l’extase religieuse, n’arrange pas l’affaire. A la fin, beaucoup de spectateurs applaudissent quand même.
« Tey (Aujourd’hui) »
Alain Gomis arrive avec un peu de retard sur la scène. En présence du ministre de la Culture du Sénégal, il veut bien nous expliquer le prologue écrit dans son film qui, selon lui, défile toujours trop vite, mais il ne se souvient plus… Signe infaillible que lui aussi est très ému d’être là.
Tey (Aujourd’hui) démarre avec une beauté formelle incroyable : deux yeux et une main posés sur le corps défunt. Une séquence suffit pour créer l’univers du film. D’emblée nous savons que c’est le dernier jour de Satché, mais nous ne saurons jamais pourquoi ce rayonnant jeune père de famille est destiné à la mort et surtout pourquoi il ne se révolte pas. « Pas de doute, ni de lutte possible ». A ces propos succède un défilé d’amis d’enfance, d’anciennes amours, de copains, de famille. Chacun nous fait partager ce qu’il a ressenti pour le futur défunt. Ensemble, ils donneront vie à sa mort : des cadeaux, des claquettes, une répétition générale avec l’embaumeur. Les images respirent, nous soufflent la vie et la mort d’un autre. Un magnifique enterrement cinématographique célébrant l’union avec la mort comme une fête de mariage. A la fin de la séance, à côté de moi, une femme burkinabè se lève : « Je n’ai rien compris au film. »
« Moi Zaphira »
La plupart des spectateurs restent assis. Ils attendent avec impatience la suite, la première du seul film burkinabè en lice pour la distinction suprême. Apolline Traoré et toute son équipe ont pris place au premier rang et savourent la vision de la salle de cinéma en train de se remplir, jusqu’à la dernière place, à même le sol.
Commence alors Moi Zaphira. Un petit chef d’œuvre. Et pourtant tout est simple : les moyens employés, le jeu des acteurs, le cadre et l’histoire. Une jeune veuve refuse d’épouser le mari choisi par ses beaux-parents et aspire pour sa fille à une vie meilleure et surtout ailleurs que celle qu’elle mène dans ce petit village. Elle rêve que sa fille devienne mannequin.
Mine de rien, Traoré transforme cette histoire ô combien racontée en une brillante, amusante et tranchante traversée de la société burkinabè : des villageois qui refusent de cultiver leurs champs pour recevoir les vivres apportés par les Blancs, les médicaments trop chers pour soigner les enfants, les femmes soumises ou forcées de se prostituer, les hommes qui risquent la mort dans les mines d’or, les traditions rétrogrades… Les sujets sont noirs, le ton reste léger.
Le tout est filmé en noir et blanc avec une tâche de couleur. Entre Jaques Tati et comédie burkinabè, entre drame social et documentaire, la caméra se fraye son propre chemin parmi des personnages invraisemblables : de la petite fille, désorientée entre le rouge à lèvres et les croyances villageoises jusqu’au somnambule qui fait chanter les habitants. Et puis il y a la langue bambara, merveilleusement mise en scène. Elle résonne à l’écran comme un balafon au village. Un film « coup de cœur ». Dans la salle, le premier long métrage d’Apolline Traoré fait un triomphe.
« Always Brando »
Cette fois-ci il n’y a personne qui reste dans la salle. Au cinéma Burkina, la dernière séance de la soirée démarre avec quelques spectateurs. Always Brando est un film difficile à saisir. Il raconte trop d’histoires à la fois. Le jeu des acteurs tournent souvent dans le vide.
D’abord, c’est l’histoire du réalisateur tunisien Ridha Behi qui raconte sa rencontre avec son idole, Marlon Brando, peu de temps avant la mort du « plus grand acteur du monde ». Avec une note de fétichisme qui guide la caméra, le réalisateur expose ensuite l’histoire d’Anis. Ce jeune Tunisien paumé rêve de l’Amérique quand une équipe de tournage américaine débarque dans ce coin perdu de la Tunisie. Pour leur film sur la ville antique Atlantide, les Américains achètent tout le village, villageois inclus. Autrement dit : comment Hollywood réussit à corrompre le monde, en particulier le monde arabe, souvent caricaturé et humilié dans les films américains.
Un propos fort intéressant, mais malheureusement pas développé. Les images restent à la surface des choses et préfèrent la petite intrigue que subit Anis. Comme il ressemble (un peu) au célèbre acteur hollywoodien Marlon Brando, on lui fait croire qu’il jouera avec lui dans un film. Le clap de fin est aussi prévisible que le fait que la promesse sera naturellement non tenue. Dans la salle, personne ne se plaint quand la lumière est rallumée avant la fin du film. Au Fespaco, une journée se termine.