Casamance : « la perspective d’une négociation est plus proche que jamais »

La Casamance, cette région du sud du Sénégal, est en proie depuis plus de trente ans à une rébellion indépendantiste. La semaine dernière, le président sénégalais à peine élu, Macky Sall, a accepté l’idée d’un dialogue avec la rébellion. Salif Sadio, le principal chef de guerre du MFDC, se dit prêt lui aussi à négocier sous conditions.

 

Jean-Claude Marut est chercheur associé, aux laboratoires « Les Afriques dans le monde » et auteur de Le Conflit de Casamance, ce que disent les armes, publié aux Editions Karthala. Il décrypte la nouvelle donne sur ce dossier.
 
RFI : Qu’est-ce qui a changé, pour qu’aujourd’hui, de part et d’autre, on soit prêt à dialoguer ?

Jean-Claude Marut : Beaucoup de choses ont changé. Il y a d’abord l’évolution du rapport de force sur le terrain, avec un affaiblissement incontestable de la rébellion, aussi bien sur plan militaire que politique. Parmi les facteurs de changement, on pourrait parler également de la mobilisation de la société civile, qui joue un rôle croissant. Mais je crois que l’essentiel c’est tout de même l’arrivée au pouvoir, à Dakar, d’un nouveau président qui a créé, incontestablement, une dynamique de paix.

RFI : Et une volonté de négocier inédite ?  
 
J-C.M. : Il y a déjà eu des tentatives par le passé, à l’époque du précédent président, Abdoulaye Wade. Elles n’ont jamais abouti pour diverses raisons.  Aujourd’hui, pour la première fois, un contact a été établi avec le principal chef militaire de la rébellion, le seul qui continue la lutte armée. C’est la grande nouveauté. Jusqu’à présent, des accords avaient été conclus, notamment en décembre 2004, avec des gens qui n’étaient pas représentatifs de la rébellion. Nous ne sommes pas encore au stade de la signature d’un accord, mais il existe une volonté de discuter avec le seul leader indépendantiste qui se bat encore aujourd’hui.

RFI : Les deux principaux protagonistes qui seraient à même de conclure un accord ont des positions radicalement opposées. L’un veut l’indépendance, l’autre souhaite préserver l’intégrité territoriale du Sénégal.
 
J-C.L. : Chacun est dans son rôle. Il est normal que le chef de l’Etat sénégalais se fasse le défenseur de l’unité nationale et l’intégrité territoriale, tout comme il est normal qu’un chef de la rébellion indépendantiste reste attaché à ses revendications. Il s’agit là de postures de départ, de positions de principe, qui n’empêchent pas la négociation. Je crois que ce qui est important c’est cette volonté désormais, de part et d’autre, d’aller vers des négociations.

RFI : Salif Sadio est le principal représentant de cette rébellion, un acteur clé. Mais il n’est pas le seul interlocuteur que pourraient avoir les autorités sénégalaises. Avec qui d’autre pourraient-elles parler, en plus de Salilf Sadio ?
 
J-C.L. : Le MFDC, le mouvement indépendantiste est très divisé. Disons qu’il y a d’autres branches militaires. Mais, soit ces branches ne luttent plus – elles ont déposé les armes depuis longtemps – soit, elles ont toujours les armes mais elles les utilisent pour le banditisme, pour s’en prendre aux populations, pas pour se battre.  C’est ce qui se passe actuellement dans le sud de la Casamance.  

RFI : Est-ce que ça peut compromettre un dialogue ?
 
J-C.L. : C’est un handicap, effectivement qui a été utilisé comme un prétexte par le régime précédent pour ne pas négocier. Pendant longtemps l’Etat sénégalais a mis en avant une sorte de préalable, le préalable de l’unité de toutes les branches se réclamant du MFDC, ce qui était évidemment une mission impossible. C’est donc incontestablement un inconvénient. Mais cet inconvénient n’est pas insurmontable. Il est peut-être illusoire de rassembler tous ces gens-là autour d’une même table, mais  il n’est pas impossible de parvenir, malgré tout, à un ou plusieurs accords qui pourraient satisfaire les uns et les autres, compte tenu de leur positionnement différent dans ce conflit.

RFI : Jean-Claude Marut, est-ce que vous pensez qu’aujourd’hui les conditions nécessaires à la conclusion d’un accord de paix qui tienne, qui soit signé, sont remplies ?
 
J-C.L. : A partir du moment où il y a un affichage net et sans ambiguïté de part et d’autre, il n’y a pas de raison pour qu’on n’aille pas vers des négociations. Quel serait le résultat ? C’est assez difficile à dire. Mais en tout cas, la perspective d’une négociation est plus proche que jamais. De plus, deux parties sont d’accord pour que la communauté catholique de Sant’Egidio assure le rôle de médiateur dans ce dossier.

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